Le divertissement va-t-il financer l’information ?

Le 22 juin 2010

Devant la difficulté à financer l'information et à l'instar du HuffPo ou du Post, il se pourrait bien que le divertissement, en attirant de larges audiences, contribue à financer l'information en ligne. Avec ses implications et ses dangers.

Un excellent billet de Jean-Christophe Féraud évoquant les usines de production de l’information que sont devenues AOL et Yahoo,  m’a conduit à réfléchir à la récurrente question du financement de l’information de demain.

Jean-Christophe constate qu’avec les plateformes de création de contenus ‘Seed’, ‘Demand media’ ou ‘Associated Content’, qui fonctionnent sur la popularité des sujets (par analyse des mots-clés en amont), se profile un dangereuse paupérisation intrinsèque du journalisme.

Qui ira encore financer un reportage sur la censure en Chine ou en Iran, sachant que ces papiers, par essence, n’intéressent qu’une minorité de lecteurs et sont donc « génétiquement » non rentables ?

Phénomène familier qui a déjà touché la télévision et qui explique la ligne éditoriale franchouillarde, cocardière et limite poujadiste du journal de 13h de TF1, pour ne citer que le plus emblématique.

Je suis bien obligé de reconnaître qu’il a raison de s’inquiéter, car avec des systèmes de rentabilité aussi mathématiques, je vois mal comment les journalistes peuvent réussir à tirer le lecteur vers le haut, en lui proposant des sujets et des points de vues parfois différents de son univers d’origine ou de son avis préalable.

Vers un appauvrissement de l’information ?

En travaillant sur le principe des mots clés, on retombe dans ce travers du web qui est celui de la caisse de résonance ou de la tautologie communicative. On ne parle que ce dont on parle déjà, dans une spirale Eisherienne. Appauvrissement de l’horizon informatif, affaiblissement de la diversité, renforcement des inégalités culturelles.

Renforcement des inégalités culturelles, car bien sûr, seuls les plus éduqués, et donc statistiquement les plus favorisés socialement, pourront aller chercher d’eux-mêmes les compléments (devenus payants) à ces informations à bas coût.

Usines à contenus, un danger à nuancer

Toutefois, si ce modèle production automatisé fait peur, dans la mesure où il est embrassé à grande échelle par les portails géants américains, je ne pense pas qu’il puisse répondre àtous les besoins d’information.

Lorsqu’on s’intéresse aux articles produits par les usines à contenus, on constate qu’il s’agit beaucoup de sujets pratiques ou d’agrégation d’informations trouvées sur le web.Comment préparer un bonne vodka, comment décrocher un job… ou les dernières frasques de telle personnalité people…

Pas de fabrication à la chaîne de reportage sur le terrain de la prise d’otage, du coup d’Etat en Thaïlande etc. Rien qui nécessite des moyens si énormes qu’ils interdisent la rentabilité de leur fabrication.

Or, je doute que les citoyens, y compris de la classe moyenne ou populaire, soient enclins à renoncer à ce type d’information, à cette fenêtre sur le monde qui leur est devenue nécessaire.

La vraie question est donc celle du moyen de renouveler le financement de ce type d’info.

Le salut viendra du divertissement

Je crois que nous avons déjà plus ou moins la réponse à cette question… c’est le divertissement qui financera l’info « sérieuse », « citoyenne » ou disons simplement l’info non-rentable.

Personne ou presque n’a jamais son journal que pour l’actualité. Ce qui justifie le prix du journal, c’est l’actualité facteur de lien social, mais aussi l’ensemble des services et notamment de divertissement, sans oublier les infos pratiques qui assurent un « mieux vivre » : météo, mots croisés, turf, cartoon…

Le Huffington Post le prouve, c’est grâce au people et au sexy qu’il engrange le gros de son audience (cf excellent billet de Cédric Motte). C’est aussi le positionnement du Post ou deGuy Birenbaum qui constatait l’autre jour que ses billets stars avaient des mots clés people ou sexy dans les titres.

En télévision sur le service public, les audiences cartons des jeux financent les productions plus « culturelles ».

Et cette équation est vraie pour quasiment tous les journaux, c’est ce qu’on appelle tout simplement une ligne éditoriale, mélange subtil de contenus racoleurs (pour l’audience et la satisfaction plus ou moins malsaine du lecteur, dont je fais partie), d’infos pratiques, d’actus people, mais aussi d’analyses et points de vues contradictoires, d’enquêtes, de reportages plus ou moins sérieux et accessibles.

C’est d’ailleurs là qu’intervient le principal talent du journaliste : rendre digeste, accessible voire agréable, tout en apportant un service : du sens, du divertissement, une info pratique…

Packager l’information à la sauce plaisir

Ce qui a probablement changé, c’est ce que les marketeux appellent le « mix-produit ». Ce ratio entre divertissement et information qui tourne à l’avantage du premier.

Il me semble que notre société évolue vers davantage de besoin de divertissement et de plaisir en général, ce qui explique aussi le succès de « l’info-tainment » à la Canal+.

Ce n’est pas tant que les individus se désintéressent du sens, mais il faut le leur packager différemment, sans effort ou sans « prise de tête », et si possible avec une sauce plaisir.

Alchimie compliquée que réussit parfois le petit journal People, lorsqu’il se moque des incohérences des politiques, des mensonges et manipulations sur un mode comique et décalé.

Certaines séquences qui rappellent l’excellent ASI,  en plus fun (et moins profond).

Imiter Apple : soigner la forme pour vendre le fond

De la même façon qu’Apple a réussi à convertir les consommateurs grâce à ses design et ergonomies simples et ludiques, je pense que l’information doit évoluer vers un emballage plus attrayant qui tient compte de cette évolution sociologique, sans trahir ses missions essentielles.

Il faudra probablement aussi diversifier son offre pour séduire des publics différents et financer le déficit de l’un (le sourcing, l’enquête) par les excédents de l’autre (l’agrégation, le fait divers, le people). C’est je crois, ce qu’a tenté de faire Le Post, mais de façon déséquilibrée, ce qui a fait fuir les annonceurs.

Enfin naturellement, il apparaît essentiel d’aller chercher tous ses publics là où ils sont : réseaux sociaux, tablettes, mobiles, journaux papiers (et oui il y en aura encore pour longtemps) et demain peut-être les terminaux multimedia fusionnant TV, Internet, visio-téléphones et que sais-je encore…

Il ne suffira pas d’exploiter un nouveau canal de diffusion, qu’il s’agisse de Facebook ou de l’Ipad. Il faudra aussi changer les pratiques journalistiques, les mode de narration, voire de scénarisation. A ce jeu, certains ont plus d’avance que d’autres, si vous voyez ce que je veux dire…

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Billet originellement publié sur Mediaculture, sous le titre “Financement de l’info: le salut viendra du divertissement”.

Crédits Photo CC Flickr : Neo Porcupine.

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