OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 “Tourner l’apathie citoyenne actuelle en activisme citoyen” http://owni.fr/2010/04/17/tourner-l%e2%80%99apathie-citoyenne-actuelle-en-activisme-citoyen/ http://owni.fr/2010/04/17/tourner-l%e2%80%99apathie-citoyenne-actuelle-en-activisme-citoyen/#comments Sat, 17 Apr 2010 09:50:58 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=12367

Image CC Flick m-c

Nous avons demandé à deux spécialistes de la formation aux médias de réagir au billet d’Andreas Kluth sur la non-crise des médias. Entretien avec Divina Frau-Meigs, sociologue des médias, professeur à l’université Paris 3 Sorbonne, directrice du master pro “ingénierie de la formation à distance et de l’éducation aux médias”.

Andreas Kluth estime qu’il n’y a pas de crise de l’information car nous n’avons jamais été aussi bien informés. Partagez-vous son point de vue ?

En partie seulement, surtout si information veut dire « actualité », ce qui semble être l’angle de vue d’Andreas Kluth. L’accès à l’actualité s’est démocratisé pour ceux qui sont équipés intellectuellement et technologiquement, les info-riches. Ceux qui étaient informés par les moyens traditionnels ont transféré certaines compétences et moyens en ligne et les optimisent grâce à des outils de plus en plus conviviaux et des bases de données et sources de plus en plus plurielles. Cela ne résout pas la fracture numérique alignée sur les fractures économiques, sociales et culturelles. Cela ne résout pas le problème des info-précaires, qui sont issus de milieux défavorisés, dont certaines catégories de la classe moyenne (personnes âgées, handicapés,…). Le pouvoir-faire des élites et intellectuels se creuse par rapport au savoir-faire d’une grande majorité de personnes en situation de précarité informationnelle et les « gratuits » ne sont pas la solution car l’actualité qui est diffusée est appauvrie, squelettique et à long terme inutilisable. Dévaloriser le travail sur l’actualité n’est pas vraiment rendre service aux plus pauvres, qui sont souvent dépendants d’une seule source d’information.

Le problème vient aussi de l’information comme « presse » et de la profession du journalisme, qui, eux, sont en crise. Cette crise est en fait le signe d’une mutation durable et incontournable, celle de la 3e révolution industrielle dans laquelle nous sommes, le « cybérisme » comme je l’appelle pour marquer sa rupture avec le post-modernisme et la modernité tardive : avec le web 2.0 et ses générations à venir, liées à la norme IPV6, les activités en ligne sont désormais en amont des activités hors ligne et où la chaîne de fabrication de l’actualité est durablement modifiée : les coûts de production, reproduction et diffusion sont très bas. La profession peut y gagner pour ses pratiques, en travaillant sur l’enquête, l’agrégation de documents, la profondeur d’analyse, si seulement elle s’en donne les moyens.

Là où je ne suis pas du tout d’accord avec Andreas Kluth, c’est sur l’idée que l’on peut se passer des journalistes. C’est une fonction sociale en mutation, mais qui répond à trois besoins cognitifs qui ne sont pas près de disparaître : la surveillance de l’environnement, le traitement de l’événement et l’aide à la résolution de problèmes. Même si potentiellement tout le monde peut être journaliste, et contribuer à l’information sur des sites, des blogs, etc., la plupart des citoyens n’a pas le temps, tout simplement de faire cette veille, cette corrélation d’information, ce suivi d’enquête qui caractérise la profession dans ses missions les plus nobles. Celle-ci doit en retour devenir plus humble qu’elle ne l’a été dans le passé, se substituant souvent à l’opinion publique et manipulant le pluralisme des idées. Ce n’est pas plus mal que la crise actuelle remette les pendules à l’heure à ce sujet : au journaliste d’informer, au citoyen de délibérer et de se faire une opinion, avec l’option supplémentaire de pouvoir la partager en-ligne…

Image CC Flickr GeekMom Heather

Comment former à s’informer dans le nouvel environnement médiatique issu de l’expansion du web, et en particulier les réseaux sociaux ?
La solution unique n’existe pas et il faut découpler la formation formelle à l’école, qui affecte les jeunes, de la formation tout au long de la vie, qui affecte les adultes.

Pour les jeunes et l’accès à l’éducation aux médias du numérique, un Brevet informatique et Internet (B2i) existe bien sur le papier, mais l’éducation doit jouer son rôle en mettant sur pied un programme plus ambitieux pour que les compétences électroniques et les répertoires d’actions y attenants soient bien maitrisés par les jeunes. Ces derniers font illusion avec le clavardage tant qu’il s’agit de social ou de relationnel mais dès qu’il s’agit de produire du contenu et de le maîtriser dans sa complexité, nous entrons dans un autre domaine de compétences. Je milite pour une éducation aux médias et à la culture informationnelle “à la française”, qui prenne en compte trois dimensions souvent présentées comme incompatibles et en concurrence dans les modèles en circulation actuellement : la dimension protectionniste (il existe des contenus et comportements à risque qu’il faut critiquer), la dimension patrimoniale (il existe des contenus historiques, culturels à recycler, diffuser, s’approprier) et la dimension participative (il existe des contenus à créer, mixer, mettre en commun,…).

Pour développer les compétences cognitives de décodage et de recodage des dispositifs de représentation et de médiation des médias, je parle souvent des 7 « C » ou Compétences de base de l’éducation aux médias : Compréhension, Critique, Créativité, Consommation, Citoyenneté, Communication inter-culturelle et Conflit. Ces 7 « C » réintroduisent de la valeur dans l’éducation tout comme dans les médias, ainsi que des valeurs, pour beaucoup d’entre elles héritées des Droits de l’homme. Elles peuvent servir de cadrage cognitif socialisé pour former les jeunes à la démocratie. Les 7 « C » peuvent modifier le comportement à l’égard des médias et des autres, en sensibilisant au respect, à la tolérance mutuelle, à la responsabilité, à la dignité, au bien commun. Elles recèlent le potentiel de tourner l’apathie citoyenne actuelle en activisme citoyen, à mesure que les jeunes deviennent des producteurs et des créateurs de contenus sur les réseaux numériques.

Mais le cybérisme induit des accélérations de comportements qui imposent d’accompagner les 7 « C » de tout un répertoire de stratégies complémentaires qui peuvent transformer chaque événement de communication en un événement d’apprentissage, tant dans l’environnement formel de l’école que hors les murs : le jeu (résolution de problèmes), la simulation (modèles dynamiques de processus applicables au monde réel), l’agrégation de contenus (expression d’identités alternatives), l’échantillonnage (remixage des produits médiatiques), la multi-modalisation (interaction entre divers médias et diverses options au sein d’un même support), la mise en commun de ressources (intelligence distribuée par agrégats de savoirs finalisés), la navigation transmédias (contrôle sur l’information et création de nouveaux contenus), le réseautage (recherche et distribution de l’information) et enfin la coordination pair-à-pair (procédés alternatifs et solutions innovantes).

Ces compétences supplémentaires, ces stratégies d’actions en fait, viennent renforcer l’alphabétisation traditionnelle. Si on sait chercher, si on trouve et si on sait lire alors il a accès à la maitrise, voire à une appropriation enrichie. Beaucoup de gens restent au niveau basique et ne savent pas s’approprier les différentes modalités complexes de certains outils. On note une vraie fracture au niveau des e-compétences avec des attitudes qui peuvent aller d’un sentiment d’infériorité à un sentiment d’aliénation, l’impression d’une exclusion par l’usage des savoirs. C’est extrêmement porteur de malaise et d’inégalité profonde face à la culture et à l’expression.

Pour les adultes, la solution de préparation tout au long de la vie se trouve dans les partenariats avec d’autres acteurs sociaux qui sont partie prenante des systèmes médiatiques, pour partager plus équitablement et efficacement les responsabilités éthiques et politiques. Ces alliances n’impliquent pas que les fonctions des uns et des autres soient remises en cause : à l’école de transmettre, à l’artiste de créer, au réseau de télévision de diffuser. Elles supposent cependant un minimum de dialogue qui n’existe que de manière sporadique pour le moment. Ces acteurs peuvent être de divers types : les professionnels eux-mêmes dans le cas du journalisme, les collectivités locales qui peuvent promouvoir des espaces de formation comme les centres communautaires, les médiathèques, etc., les décideurs et animateurs des télévisions de service public (locales, régionales, nationales, transnationales), les pourvoyeurs de contenus et de services en ligne, —la technologie pouvant venir à la rescousse, par l’interactivité avec les autres supports complémentaires (site Internet, web TV,…).

Photo CC Flickr kmevans

Pour ma part, je préconise aussi des « e-scouades » des groupes d’intervention numérique rapides et mobiles : on envoie des jeunes, chômeurs ou inactifs, chez les personnes âgées. Cela pourrait être financé par un petit prélèvement chez les câblo-opérateurs et autres fournisseurs d’accès (comme aux États-Unis, où ce système s’appelle le « e-rate »).

Pour les jeunes comme pour les adultes, le but ultime est bien d’atteindre le seuil de la maîtrise des contenus et des médiations et non pas seulement de l’accès, pour un accès à l’usage et aux opportunités réelles rendus possibles par le cybérisme. C’est là que l’on atteint l’accès profitable, ou encore soutenable, quand l’accès à l’usage supplante l’accès à l’offre pour produire un véritable changement, au bénéfice de la personne et la collectivité.

Certains publics sont moins avantagés que d’autres : qui sont-ils et comment les accompagner ?

Les info-précaires, voire les « info-pauvres », se trouvent distribués dans certaines poches du territoire (zones rurales, certaines banlieues) et dans certains groupes fragilisés, comme les sont les personnes âgées, les minorités ethniques, les personnes handicapées, ou encore les chômeurs.

Photo CC Flickr USDAgov

Photo CC Flickr USDAgov

Cette population info-précaire n’a pas les mêmes besoins que les jeunes. La situation réelle de la personne adulte est un des paramètres indispensables à une maîtrise profitable et motivée. Des chercheurs américains ont dressé une liste d’une dizaine de sphères dans lesquelles les gens ont besoin d’information sous peine de tomber dans l’info-pauvreté. Ces sphères sont connues : la première est la santé, une bonne santé permettant un fonctionnement de base pour continuer à faire tout le reste. C’est une évidence : quand on possède l’info sur le cancer, sur le SIDA, sur l’obésité, on peut améliorer ses conditions de vie. Les autres sphères les plus utiles sont le logement, l’emploi, l’assistance sociale (les systèmes d’aide), l’éducation, le droit, les transports, les loisirs et en dernier (du point de vue américain) la sphère politique. Ces sphères mobilisent les gens, elles créent chez eux la motivation pour aller chercher de l’information qui n’est plus une information de base mais spécialisée et ciblée sur les besoins.

Pour les accompagner, il faut partir du principe que nous ne savons pas quand le grand public va s’approprier tout ce qui est offert… Donnons-lui les moyens de le faire, organisons cette appropriation, par une information de service public de qualité. Elle ne peut se faire de manière intuitive seulement, sinon elle se fera de manière basique. Or, ce qu’il nous faut, c’est passer à des niveaux de compétence et de maitrise supplémentaires, enrichis, pour faire en sorte que les gens se rendent compte qu’ils ont besoin de l’information pour continuer à évoluer dans toutes les sphères de leur vie privée et professionnelle.

Quel investissement faut-il mettre et pour en retirer quel bénéfice ?

En ce moment l’investissement dans l’éducation aux médias est présenté comme une panacée, tant par les pouvoirs publics, les diffuseurs et pourvoyeurs de services que par les associations de terrain (éducateurs, parents,…). Beaucoup d’initiatives sont prises, notamment sous l’impulsion de la Directive Européenne Services de Médias Audiovisuels (l’ancienne TVSF) qui la préconise. Dans ce cadrage, l’investissement est néo-libéral et instrumentalise l’éducation aux médias dans une logique commerciale, qui autorise la baisse des systèmes de protection (des consommateurs, des jeunes, …), le désengagement de l’état, l’auto-régulation du secteur privé. C’est une forme de privatisation du risque de fracture numérique et d’individualisation de la formation, sous le terme porteur d’empouvoirement (empowerment). Ce type d’investissement est à court terme, et ne bénéficie, marginalement, qu’à une vision du public réduite à un ensemble de consommateurs dont le consentement sans sens critique est recherché. Le retour sur investissement démocratique et informationnel est très pauvre.

Un investissement démocratique et informationnel riche et durable, voire profitable, doit positionner l’éducation aux médias autrement, à partir des compétences et des répertoires de stratégies, qui redonne de la place tant à l’individu qu’au collectif, tout en insistant sur les rapports de pouvoir et de savoir, terriblement asymétriques et porteurs de clivages. L’association aux droits de l’homme et aux savoirs citoyens est indispensable : l’éducation à la citoyenneté, l’éducation à l’environnement, etc. me semblent pouvoir passer par les médias avec facilité, surtout si la valeur de service public des nouveaux réseaux du cybérisme est légitimée et instaurée, pour contre-balancer l’approche néo-libérale dérégulée.

De même qu’il faut réintroduire les valeurs des droits de l’homme dans l’éducation aux médias et à la culture informationnelle, il faut ré-introduire de la valeur dans l’information d’actualité. La gratuité est de ce point de vue là un piège qui a visé à détruire l’autonomie et l’indépendance de certaines rédactions critiques du néo-libéralisme car il est bien connu qu’une presse qui fonctionne par abonnement et pas seulement par publicité peut se permettre une ligne éditoriale relativement libre de pressions.

Certains pays sont-ils en avance dans ce domaine ?

Aucun pays n’a encore atteint le seuil de l’accès soutenable et durable, qui pour moi passe par une éducation aux médias qui transpose le motto républicain de Jules Ferry de l’école publique, libre et obligatoire en motto cybériste de l’école publique, ouverte, participative et éthique. Mais certains s’en approchent plus que d’autres. La France n’est pas mal placée, car toute la palette (protectionniste, patrimoniale et participative) existe, même si elle ne bénéficie pas d’une couverture nationale.

En Europe, d’autres pays y travaillent, avec des options spécifiques au lycée (Angleterre), des programmes qui parcourent tout le développement scolaire (Autriche). Ce qui me fait croire que l’on progressera c’est l’info-densité, la présence d’un maillage d’infrastructures et de ressources humaines bien formées pour créer une éducation aux médias et à la culture informationelle. Elle pourra produire des renforcements régionaux. Le pôle des 7/8 premiers pays de l’Union européenne est un axe fort, avec des échanges d’expérience en éducation aux médias, des transferts de perspectives (sur les compétences, les savoirs…). Autrement dit, plus on est “info-riche”, plus on est riche.

Dans le reste du monde, d’autres régions se cherchent des modèles originaux comme Hong Kong où l’éducation aux médias fait partie d’un pôle disciplinaire autour de « savoirs citoyens ». L’Amérique latine poursuit son modèle d’édu-communication, avec une perspective sociale qui intègre les fonctionnalités et les besoins des adultes, souvent au niveau des municipalités autonomes. L’Inde poursuit dans une direction identique. Les régions les plus en retard sont celles aussi de la fracture numérique, économique et sociale, à savoir le Moyen-Orient et l’Afrique…

La traduction du billet d’Andreas Kluth

Un autre point de vue sur ce billet, par Bruno Devauchelle

Le site de Divina Frau-Meigs : www.medias-matrices.net

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Permettre à tous les jeunes de s’insérer dans la société telle qu’elle devient http://owni.fr/2010/04/17/permettre-a-tous-les-jeunes-de-sinserer-dans-la-societe-telle-quelle-devient/ http://owni.fr/2010/04/17/permettre-a-tous-les-jeunes-de-sinserer-dans-la-societe-telle-quelle-devient/#comments Sat, 17 Apr 2010 09:50:22 +0000 Bruno Devauchelle http://owni.fr/?p=12436

Photo CC Flickr Skokie Public Library

Nous avons demandé à deux spécialistes de la formation aux médias de réagir au billet d’Andreas Kluth sur la non-crise des médias. Voici la contribution de Bruno Devauchelle, formateur chercheur au CEPEC de Lyon, qui étudie l’intégration des TIC dans l’enseignement, la formation et l’éducation. Il aborde la question du point de vue des jeunes.

Ce n’est pas parce que l’information est accessible facilement que l’on est informé. Ce constat qui peut sembler une évidence prend une autre couleur si l’on y introduit la dimension des vecteurs de l’information que sont les médias. L’information ne se réduit pas aux médias et cela depuis toujours (les médias sont une invention assez récente). Depuis que les médias (et ici on désignera média tous les vecteurs de l’information qui fonctionnent en flux et qui diffusent à une large population, médias de masse, à partir d’un support ou d’un dispositif technique) se sont développés, une organisation s’est mise en place de manière à les inscrire durablement dans le paysage.

La crise, une question de sur-information dans un cadre de sur-accessibilité

Or une technique nouvelle vient à remettre en cause cette organisation et donc potentiellement les médias. Il y a bien crise des médias, mais pas pour ce qui est de l’information, la crise prend surtout la couleur de la sur-information dans un cadre de sur accessibilité. Autrement dit chacun de nous n’a jamais été aussi près de l’information depuis qu’Internet met en difficulté tous les intermédiaires en se substituant progressivement à la plupart d’entre eux en tant que vecteur de distribution d’une part et en tant que support d’élaboration d’autre part. Autrement dit on peut désormais se passer de la plupart des intermédiaires humains pour fabriquer l’information ou pour y accéder…

Cet état de fait pose la question des compétences nécessaires pour “bien vivre” dans un tel contexte. Des blogueurs journalistes, comme Andreas Kluth, sont les premiers à se sentir bien dans cet univers car ils ne se rendent pas compte qu’ils maîtrisent la plupart de ces compétences. Mais qu’en est-il du reste de la population et en particulier des jeunes ? Cette question est celle qui s’impose aujourd’hui au système scolaires, aux parents, bref à tous les éducateurs.

Le système scolaire français a une histoire déjà ancienne par rapport aux médias. Rappelons le travail fait au CES de Marly le Roi à partir de 1965 a propos de la télévision et les nombreuses expérimentations qui ont suivi ensuite dans ce domaine. Aujourd’hui le CLEMI est la structure nationale de référence dans le domaine avec la célèbre “semaine de la presse” qui chaque année rappelle aux établissements l’importance de cette éducation. Et pourtant rapport officiel, après rapport officiel, on ne peut que constater que l’éducation au média reste quelque chose de difficile à cerner dans les pratiques scolaires réelles. Ce n’est pas la volonté qui manque, il y a bien longtemps que les CDI, les programmes de français, d’histoire etc… ont évoqué la place à donner aux médias. Depuis l’avènement d’Internet, il en est de même, tout comme avant avec le développement de l’informatique à partir de 1985.

Infléchir la forme de l’enseignement

Le problème principal que l’on peut aisément observer c’est que les médias de masse traditionnels n’ont pas réellement pris place dans les pratiques quotidiennes des enseignants. La prééminence de l’écrit et du livre ont longtemps rejeté ces médias à la marge de l’école. Avec l’informatique et Internet les choses sont un peu différentes et encore en pleine évolution. Les derniers rapports publiés dans ce domaine (MM. Fourgous, Apparu etc…) sont tous hésitants sur les axes à prendre : informatique, médias, internet…

Ce sur quoi ils sont d’accord, c’est la place que l’école doit tenir dans cette éducation, mais jamais il ne vont au delà des propositions, sans jamais tenter d’infléchir officiellement ce qui est fondamental dans le système scolaire : la forme de l’enseignement. On observe depuis de nombreuses années des équipes innovantes, des pistes d’activités intéressantes, mais delà à ce que cela soit transféré au cœur de l’organisation scolaire, il y a un écart jamais franchi au cours de l’histoire.

L’histoire récente et pourtant déjà ancienne du B2i (brevet informatique et Internet, NDLR) n’a pas permis de mettre en évidence une évolution quotidienne des pratiques, suffisamment partagée au sein des établissements pour apercevoir une évolution réelle. Or le B2i, parce qu’il n’impose rien (sauf depuis son inclusion dans le socle commun), laisse les équipes libres de ne pas s’en emparer… La récente réforme du lycée qui entrera en vigueur à la rentrée prochaine n’apporte pas beaucoup plus d’éléments, oubliant même la place du B2i lycée, pourtant considéré comme obligatoire depuis près de trois années…

Déficit des enseignants en information-communication

Au final, la responsabilité de l’éducation aux médias et à Internet est renvoyé à la culture des enseignants eux-mêmes. Dans ce domaine, les plus actifs sont souvent les enseignants documentalistes. Relayés par d’autres disciplines qui s’associent souvent à la marge à cette éducation (même le français… dans les programmes duquel cette éducation à l’image est pourtant inscrite), ces enseignants animent souvent au sein de l’établissement une dynamique autour de ces objets qui reposent la question plus large de la formation à l’information-communication. Car le vrai déficit dans le système éducatif français est celui qui concerne une véritable culture des enseignants dans ce domaine pourtant aussi ancien à l’université que les sciences de l’éducation.

Si l’idée de former les enseignants au technologies de l’information et de la communication dès l’entrée dans le métier, on s’aperçoit que cette formation est très inégale et surtout qu’elle est souvent attirée du coté technique et très peu du coté culturel. Or la dimension culturelle reste quelque chose qui n’est pas clairement affirmé, et surtout pas clairement proposée dans les établissements scolaires, parce que difficile à cerner et qui impose des approches nouvelles. C’est ce qui fait que l’on privilégie souvent en milieu scolaire l’approche technique avant l’approche par les usages et les cultures d’usage. L’exemple de la mise à l’écart de la télévision du monde scolaire alors qu’elle prenait place dans le quotidien de chacun est encore fortement présent dans les réflexes vis à vis des TIC, d’Internet.

Ne pas diaboliser les pratiques des jeunes. Photo CC Flickr Oversocialized

Des pistes de travail déjà visibles dans les pratiques pionnières

Quelques pistes de travail peuvent être envisagées et sont déjà visibles dans les pratiques pionnières :
-  L’éducation aux médias et à Internet doit d’abord s’appuyer sur le projet de produire et d’utiliser et pas seulement sur le projet de la seule éducation critique. D’ailleurs comment faire une éducation critique sans aborder le travail de conception ?
- De plus cette éducation doit s’appuyer d’abord sur les pratiques sociales des élèves avec comme mission d’aider les jeunes à construire des repères à partir de ces pratiques et ensuite d’inciter les jeunes à explorer de nouvelles directions et ne pas seulement se contenter de proposer des objets de travail scolarisés (autrement dit des activités rentables scolairement)
- Puis cette éducation doit d’abord interroger les adultes (enseignants, parents, éducateurs,…) sur leurs propres pratiques et leurs propres responsabilités dans le déploiement de ces outils et de l’éducation qui va avec. Cette interrogation doit d’abord éviter le discours qui diabolise les pratiques des jeunes, mais plutôt s’attacher à comprendre l’articulation entre organisation sociétale proposée par les adultes et pratiques médiatiques des jeunes
- Enfin cette éducation doit aussi s’appuyer sur des modèles pédagogiques qui se modifient du fait de ces outils au lieu de tenter de les intégrer (c’est à dire de les formater) comme des objets étrangers, sans changer les modèles pédagogiques. Pour ce faire on pourra aussi s’appuyer sur des travaux de sciences de l’information et de la communication et aussi des sciences cognitives, qui apportent de nouvelles connaissances permettant d’envisager des évolutions pédagogiques pertinentes.

D’autres pistes pourraient être explorées, mais pour l’instant cette éducation reste de la seule responsabilité individuelle de l’enseignant et tant qu’elle ne sera pas réellement soutenue par une vision claire et un projet fort, elle se cantonnera à des séries d’actions ponctuelles et pionnières, oubliant la mission première de l’école : permettre à tous les jeunes de s’insérer dans la société telle qu’elle est et telle qu’elle devient et non pas dans une société abstraite, idéalisée, telle qu’elle aurait pu être…

La traduction du billet d’Andreas Kluth

L’interview de Divina Frau-Meigs, un autre point de vue sur le billet d’Andreas Kluth

Le blog de Bruno Devauchelle

Sur le rapport Fourgous, l’analyse de Skhole.fr : De la prise de conscience salutaire à l’idolâtrie imprudente

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Il n’y a pas de crise des médias? http://owni.fr/2010/04/17/il-ny-a-pas-de-crise-des-medias/ http://owni.fr/2010/04/17/il-ny-a-pas-de-crise-des-medias/#comments Sat, 17 Apr 2010 09:49:54 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=12431

La crise des médias, on nous en rebat les oreilles depuis quelques année, stigmatisation d’Internet à l’appui. Même qu’il y a un blog qui s’appelle comme ça.
En fait, il n’y a pas de crise des médias, car nous n’avons jamais été aussi bien informés, sauf pour les journalistes qui perdent leur emploi et ceux qui ont des intérêts dans le secteur. C’est la conclusion d’Andreas Kluth, journaliste, blogueur, après une analyse diachronique de ses habitudes en matière de consommation de médias, traduit ci-dessous.

Mais suis-je bête, comment n’ai-je pas pu faire la même analyse avant ? Peut-être parce que je suis journaliste, profession nombrilisme encline à s’auto-apitoyer sur son sort ? ;-)

Voilà pour la réaction initiale. Mais l’analyse était trop brillante pour ne pas être biaisée. Le hic c’est qu’Andreas Kluth est tout sauf un internaute lambda. Il n’a jamais été aussi bien informé car il sait s’informer. Ok le fil RSS est un outil génial à cet effet. C’est vrai les blogs passionnants, les revues spécialisées sont légion sur la Toile. Mais soyons lucide : quel pourcentage de la population a la connaissance et la maîtrise de ces outils et contenus ? Oui, potentiellement il n’y a pas de crise des médias. Dans la réalité de la pratique, c’est autre chose. Ce n’est pas pour autant une raison de se désoler. Nous avons demandé à deux spécialistes de l’éducation aux médias, Divina Frau-Meigs et Bruno Devauchelle, de réagir à ce billet et d’apporter des pistes pour que la réalité d’Andreas Kluth soit celle de la majorité.

> “Tourner l’apathie citoyenne actuelle en activisme citoyen”

> Permettre à tous les jeunes de s’insérer dans la société telle qu’elle devient

Mes habitudes de média changent (ou : il n’y a pas de crise !)

Il y a plus de trois ans – trente ans, me semble-t-il -, j’ai écrit un reportage divisé en huit chapitres pour The Economist, dans lequel j’essayais d’imaginer le futur des médias. (cliquez ici, pour ceux qui sont abonnés)

J’y expliquais que nous (la société) étions à mi-chemin d’une transformation aussi importante que celle entamée avec l’imprimerie de Gutenberg au cours de la Renaissance. Une ère médiatique était en train de se terminer, l’autre commençait :

• Ancien : les entreprises de médias produisent du contenu et en captent, l’audience passive la consomme.
• Nouveau : chacun produit son contenu et le partage, le consomme et le remixe.
• Ancien : les entreprises de média font la leçon au public (d’une personne à la multitude).
• Nouveau : le public entretient la conversation en son sein (de la multitude à la multitude).Pour vous montrer à quel point trois années peuvent être longues, considérez :
• J’avais inclus des podcasts dans mon reportage pour The Economist. C’était les tout premiers podcasts, un mot que de nombreux rédacteurs en chef à Londres n’avaient encore jamais entendu. Aujourd’hui, nos podcasts sont parmi les plus populaires sur iTunes.
• Durant mes recherches pour le reportage, j’ai entendu le mot “Youtube” pour la première fois (la compagnie venait juste d’être fondée). Quand j’ai envoyé le reportage au rédacteur en chef, il contenait une seule référence à YouTube. Quatre (!) semaines plus tard, quand le reportage fut publié, YouTube était déjà devenu le plus grand sujet de l’année (2006).
• Je n’avais jamais entendu parler de Facebook (sans parler de Twitter). Etc.

Comment j’utilise les médias aujourd’hui

Tout cela semble pittoresque maintenant, c’est pourquoi j’ai pensé que je pourrais vous montrer comment mes habitudes personnelles en matière de médias ont changé depuis mon reportage, puis répondre à quelques questions :
• Mes prévisions tiennent-elles la route ?
• Comment pourrais-je les peaufiner ?
• Y a t-il une “crise” des médias ?

1) Plus d’efficacité dans ma vie professionnelle

En 2006, j’étais encore abonné à beaucoup de journaux et de magazines papier, comme tous les journalistes, afin de suivre ce que faisait “la concurrence” et de rester informé. Ses choses s’empilaient sur le sol et je me sentais coupable…
Aujourd’hui, je n’ai plus aucun abonnement papier ! J’ai précisément deux abonnements électroniques sur mon Kindle, à un journal (le New York Times), et à un magazine (The Atlantic).

J’utilise le Kindle le matin avec mon café pour me tenir au courant des principaux titres, les informations de masse. Ça détend. Cela prend à peu près quinze minutes. Plus tard dans la journée, si je conduis, j’écoute NPR dans la voiture. Cela représente la totalité de ma consommation de médias « mainstream » à travers leur canaux de distribution classiques. Je ne possède pas de télé.

Après avoir posé mon Kindle, mon travail commence. Ce qui signifie que j’ouvre mon propre « journal » personnel, mon lecteur de flux RSS. Voici à quoi cela ressemblait hier :

Dans mon lecteur RSS, je mixe des flux provenant de médias classiques avec la “longue traîne” de l’information: du LA Times aux petits blogs sur la politique californienne en passant par d’obscurs outils de recherche comme le Public Policy Institute of California.
Ce qu’il faut noter ici, c’est que j’ai:
1- Désassemblé de nombreuses publications et sources d’information disparates, y compris des sources qui ne sont pas considérées traditionnellement comme de l’information, et que je les ai
2-assemblées comme moi seul le peut pour favoriser ma propre productivité. J’ai donc remplacé les “rédacteurs en chef” et ne les autoriserai plus jamais à influencer cette partie de ma vie.

Je passe sans doute une heure à peu près à lire mon lecteur de flux RSS. Ce n’est pas si relaxant. Je considère que c’est du travail. C’est une plongée profonde dans la matière dont j’ai besoin pour couvrir mon sujet (l’Ouest des États-Unis). Je ne me soucie pas de traduire ou de classifier quoi que ce soit car je taggue les items, en sachant que je pourrai les rechercher plus tard. (Et oui, cela signifie que mon bureau est désormais sans papier). Parfois, j’appuie sur “partager” et mon rédacteur en chef peut voir ce que je lis.

Ensuite je suis prêt pour la journée et j’enchaîne sur : a) effectuer des recherches pour mes articles et b) prendre des pauses de bureau occasionnelles pour m’amuser avec les autres médias.

2) Ma vie intellectuelle : du “curating” social

Dans ma vie privée (ie non-Economist), je vis essentiellement la vision que j’avais esquissée dans mon reportage. Ce qui veut dire que je suis simultanément le public pour d’autres producteurs “amateurs” de contenus et un producteur amateur moi-même. Ce qui est une façon alambiquée de dire :

> Je blogue -ici même- pour des motivations qui ne sont pas le moins du monde commerciales et

> Je lis d’autres blogs pour être stimulé intellectuellement et
> je poste occasionnellement sur mon profil Facebook et
> je jette un coup d’oeil aux mises à jour des comptes Facebook de personnes que je connais.

Grâce au blog, à Facebook et au médium démodé qu’est l’email, j’ai désormais un système de curation sociale spontané, non-planifié mais remarquablement efficace et sur-mesure pour mon contenu médiatique.

Je peux facilement passer une heure ou deux par jour juste à suivre les liens que vous les gars, ie les lecteurs de mon blog, fournissez. La plupart d’entre vous sur ce blog ne m’avez jamais rencontré en personne mais vous avez pu vu faire une idée asez précise de mes goûts intellectuels, et vous fournissez des liens qui sont, pour la plupart, étonnamment pertinents. Parfois, vous faites remonter des articles ou des papiers publiés dans des journaux obscurs que je n’aurais jamais découverts dans la précédente ère médiatique.

Sur Facebook, je trouve que les connections sont de nature opposée: je connais dans la “vraie vie” la plupart de mes “amis”, mais beaucoup ont une connaissance plus faible de mes goûts intellectuels que les lecteurs de mon blog.

Toutefois, mes amis sur Facebook sont dans mon cercle social, donc leurs liens tendent aussi à être obscurs, risqués, ironiques, ou limités, plus intéressant ou profitable que n’importe quel contenu que les entreprises de médias me servaient sous la précédente ère. Il y a dix ans par exemple, je n’aurais sans doute jamais vu cet étonnant artiste ukrainien faire une oeuvre de sable sur l’invasion nazi dans son pays:

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Les choses à noter ici :

> Mes curateurs sociaux désassemblent et assemblent également les sources de contenus. Ils mixent des clips de Jon Stewart (média mainstream, commercial), avec des ensembles musicaux maison (amateur, non-commercial), dans un flux médiatique sur-mesure.

> Mes amis en ligne et hors ligne sont donc devenus ce que les rédacteurs en chef étaient et ils sont bien meilleurs dans ce domaine que leurs prédécesseurs assemblées en conglomérat médiatique ne l’ont jamais été. Je n’autoriserai plus jamais les vieux éditeurs à s’immiscer dans ma vie.

> Il va sans dire que je “time-shift” et “place-shift”, ce qui est juste une façon alambiquée de dire que je “consomme” ce contenu où et quand je veux (ordinateur portable + iPhone).

3) Mon média intime

Cette strate finale est ce que Paul Saffo appelle dans mon reportage le média “personnel”. Ce sont les médias produits par les membres de ma famille et des amis très intimes pour des publics bien définis et restreints.

Ex : des photos de bébé et des clips sur mon site familial privé. Le site est protégé et seuls les grands-parents et les amis très proches ont un accès. La motivation est donc opposée à celle des médias traditionnels.

> L’audience est maintenue restreinte de façon délibérée (alors que les compagnies de média veulent de larges audiences).
> Le but est de partager et préserver les mémoires personnelles.

Parce que l’édition et le partage d’un tel média intime sont beaucoup plus faciles que cela jamais, je passe beaucoup, beaucoup de mon temps consacrés aux médias immergés dedans. Où est-ce que je trouve ce temps ? Facile. Clay Shirky dit depuis des années : “nous avons un surplus de temps, une fois que nous sommes débarrassés de tous les trucs inutiles dans nos vies”.

Conclusion

Donc pour répondre à mes trois questions :

> Est-ce que ma thèse de 2006 est toujours valable? Je crois que oui. Nous avons tous l’équivalent de plusieurs imprimeries de Gutenberg dans nos poches et dans nos ordinateurs portables, et nous les utilisons pour raconter des histoires aux autres comme jamais auparavant.

> Est-ce que je changerai quelque chose ? J’accorderai plus d’attention à la vidéo et à l’audio qu’au texte dans le mix.

> Y a t il une crise des médias ? Non !

C’est peut-être ce dernier point qui peut surprendre. Je suis dans une position inhabituelle en ce que je suis à la fois un auteur amateur et professionnel. Donc je dois être au courant que l’industrie de l’information se meure, non ?

Je suis en effet au courant qu’elle se réduit. Mais est-ce cela le problème ? Il y a en effet deux crises :

1. Une crise de l’argent et des profits pour les possesseurs de capitaux dans les médias.
2. Une crise de l’emploi chez les journalistes.

Mais ce sont deux aspects dont le reste de la société n’a pas besoin de se soucier. Pour la société dans son ensemble, je crois qu’il n’y a pas de crise, une fois que nous avons cessé d’être hystérique et examiné nos habitudes en termes de médias.

Ce que j’ai découvert dans mon comportement médiatique personnel, c’est que je suis aujourd’hui mieux informé que je ne l’ai jamais été. Mais la plupart de l’information que je consomme ne vient pas de journalistes.

À la place, beaucoup, beaucoup provient maintenant d’universités et de think tanks dans mon lecteur de flux RSS et de iTunes University, de scientifiques et de penseurs et autres experts à des conférences tel que TED, et de vous, vous êtes un pool de rédacteurs en chef choisis par moi-même et donc qualifié.

Si je parle uniquement comme consommateur de média et citoyen, je crois qu’il n’y a pas de crise des médias, en fait nous entrons dans une seconde Renaissance.

> Billet initialement publié sur The Hannibal Blog, déniché sur Transnets, traduction Sabine Blanc et Guillaume Ledit.

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