OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Premier tour… de passe-passe http://owni.fr/2012/04/26/premier-tour%e2%80%a6-de-passe-passe/ http://owni.fr/2012/04/26/premier-tour%e2%80%a6-de-passe-passe/#comments Thu, 26 Apr 2012 09:41:49 +0000 Jean-Paul Jouary http://owni.fr/?p=108006

L’imagination grossit les petits objets jusqu’à en remplir notre âme, elle amoindrit les grands jusqu’à sa mesure. – Blaise Pascal

Soir de premier tour. Les résultats sont issus d’un enchevêtrement de facteurs complexes. Certains de ces facteurs relèvent d’une logique de relative rationalité : le bilan du Président sortant, le vécu de chacun, les engagements des divers candidats, les opinions de chacun, ses traditions familiales et pratiques sociales sur les lieux du travail, la capacité de chaque candidat de trouver les mots et les gestes auxquels on peut identifier ses aspirations… Pour une bonne part, l’avenir d’un scrutin se joue dans le présent, au jour le jour. Mais il se joue aussi dans une mécanique complexe qui combine la logique des institutions, la perception de ce qui peut être « utile », et l’image produite de ce que l’avenir du scrutin doit être.

Ainsi, la semaine qui a précédé le premier tour a-t-elle tenu compte des tendances qui se dessinaient pour les infléchir délibérément. Ainsi un quotidien a-t-il fait sa Une sur la possibilité d’un score sans précédent du Front national, alors que le candidat socialiste martelait qu’il était plus prudent de voter pour lui au premier tour, même si l’on avait une autre préférence. Un certain traumatisme de 2002 était ainsi réactivé. En même temps, Nicolas Sarkozy et une bonne partie des médias répétaient que son score serait beaucoup plus haut qu’annoncé.

Si de tels procédés ne peuvent en rien inverser les tendances fondamentales d’un scrutin, il est évident qu’il y avait là de quoi provoquer un transfert mécanique d’un grand nombre de voix du Front de gauche vers François Hollande. Ce qui s’est vérifié. Dans le même temps, Nicolas Sarkozy banalisait les thèmes les plus xénophobes du Front national, dont l’électorat se sentait donc le droit de valider les droits d’auteur en votant pour Marine Le Pen. Ce qui s’est vérifié aussi.

A ce que nous évoquions dans une des premières chroniques à propos des sondages il faut ajouter une variante nouvelle : à quelques jours du vote, la plupart des instituts de sondages ont préparé l’opinion à des surprises, l’électorat pouvant faire mentir les prévisions. Ce qui signifie qu’après avoir battu les records du nombre de sondages dans une élection, après avoir fait jouer un rôle sans précédent à ce procédé qui consiste à produire du futur en prétendant le prévoir, on a pris date :

si nos sondages sont démentis, ce ne peut être à cause des sondages eux-mêmes, mais en raison d’un brusque revirement imprévisible des citoyens.

C’est bien le modèle de « bison futé » qui opère depuis un an dans cette présidentielle : s’il n’y a pas eu d’embouteillage, c’est parce qu’on avait prévu qu’il y en aurait un et que les automobilistes, grâce à nous, ont modifié leurs horaires. C’est donc grâce à notre prévision que la prévision est démentie. Mais le système « bison futé », lui, admet vouloir changer les opinions ; pas les prévoir. Les sondages, eux, ne se trompent jamais mais trompent toujours.

On fabrique donc du vote comme on fabrique du désir avec les campagnes publicitaires. Jacques Attali écrivait en 1981 qu’il ne s’agissait plus de démontrer mais de séduire. C’est devenu la reprise cynique du diagnostique de Blaise Pascal, pour qui,

l’imagination grossit les petits objets jusqu’à en remplir notre âme, elle amoindrit les grands jusqu’à sa mesure.

Telle semble être devenue la façon de se déterminer des citoyens de notre temps : l’imagination fait tout ou presque. Mais il ne faut pas confondre l’imagination et le rêve. Il n’est pas de politique sans rêve, sans utopie motrice, sans dépassement de ce qui est. Il faut bien admettre qu’il n’est pas non plus de politique sans raison, toute l’histoire du XXème siècle en atteste l’importance, qui donne raison à Spinoza, à Rousseau, à Kant. Même si Hegel nous rappelle que rien de grand ne se fait sans passion, d’une passion nourrie d’imagination, justement. Pascal avait donc raison de dénoncer deux fautes : l’une, de ne compter que sur la raison, l’autre, d’exclure la raison.

Portrait du poète Friedrich Schiller par Anton Graff - Domaine public, via Wikimedia Commons

Entre ces deux travers, Schiller le poète avait donc raison de rappeler qu’il est deux façons de n’être pas pleinement humain :

laisser la raison l’emporter sur le sentiment, laisser le sentiment abolir la raison.

Le résultat du premier tour de cette présidentielle malheureusement ne satisfait aucune de ces exigences. Ce premier tour est passé. Deux semaines nous séparent du tour décisif. Mais que vaut cette décision ?

La Constitution de la Vème République oblige à choisir désormais entre deux candidats, et à effacer par cette voie toute la diversité qui a pu s’exprimer au premier tour. Désormais, une majorité est attendue pour conférer d’invraisemblables pouvoirs à un homme (jamais une femme en France, jamais une personne de couleur, jamais un ouvrier, un employé, un salarié). Il lui faudra recueillir 50% des exprimés plus une voix. Tant pis si ce n’est pas par adhésion mais par rejet de l’adversaire, et tant pis si l’élu est celui qui aura le moins d’abstentions.

En l’occurrence, comme on pouvait le prévoir, le Président sortant suscite un rejet si fort, de par sa politique et ses comportements personnels, qu’il n’a que peu de chances de l’emporter. Alors que lui reste-t-il ? Un panaché peut-être des procédés évoqués dans plusieurs des chroniques précédentes. Pourquoi pas un fait divers, un drame de plus, pour créer un climat d’insécurité dont la droite a coutume de se régaler ? Pourquoi pas une brusque chute du CAC 40 ou d’une baisse de « notation » dénoncée aussitôt comme le prélude à une politique plus sociale, avec le spectre du désastre grec en perspective ? Il va falloir faire peur, laisser entrevoir l’enfer à défaut de promettre le paradis. Mais laissons ces stratagèmes aux commentateurs de la vie politique.

Ce qui en revanche interpelle la réflexion philosophique, c’est cette élection en son principe même:

comment peut-on banaliser dans les consciences ce formidable transfert de liberté, qui conduit un peuple à décider de déléguer à une personne, quelles qu’en soient les qualités et les défauts, le droit de décider ensuite à sa place de l’essentiel de sa vie ? Sans le consulter, et même, comme on a pu le voir à propos du Traité de Lisbonne, en le consultant puis en décidant le contraire de la volonté pour une fois exprimée.

Au soir du second tour, il y aura un Président. Probablement nouveau. Probablement autre que celui qui mit sa présidence sous le signe de la xénophobie la plus honteuse. Mais, comme le soulignait Rousseau en son temps, il est bien sûr préférable qu’un chef vertueux l’emporte sur un chef immoral. Cependant, si le sort d’un peuple dépend de la vertu d’un chef, cela signifie qu’il n’y a pas de véritable constitution, et que tout dépend d’un chef. Cela n’a donc rien à voir avec la démocratie. Alors, chacun fera son devoir de citoyen et la France aura un Président, nouveau on l’espère. Mais la France aura encore besoin d’une véritable constitution.

A suivre donc…


Retrouvez toutes les chroniques philo de Jean-Paul Jouary.
Illustration par Tamari09 [cc-by-nc] via Flickr remixée par Ophelia Noor ; Portrait de Schiller par Anton Graff [Public domain], via Wikimedia Commons

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Les rêveries de l’électeur solitaire http://owni.fr/2012/04/20/les-reveries-de-l%e2%80%99electeur-solitaire/ http://owni.fr/2012/04/20/les-reveries-de-l%e2%80%99electeur-solitaire/#comments Fri, 20 Apr 2012 19:34:40 +0000 Jean-Paul Jouary http://owni.fr/?p=107183

Il importe donc qu’il n’y ait pas de société partielle dans l’État, et que chaque citoyen n’opine que d’après lui. – Rousseau

Ce dimanche, des millions d’individualités se rendront dans ce que l’on appelle des isoloirs, pour mettre dans l’urne un bulletin de vote. Cela peut paraître étrange : pour que la vie politique avance, il faut agir tous ensemble, avions-nous vu précédemment, et il faudrait donc s’isoler ensuite pour manifester sa volonté de citoyen au moment du suffrage ! En fait, l’idée n’est pas du tout absurde.

Pour être citoyen faut-il donc s’isoler ? Certes pas en un premier sens : comment former son jugement, comment tisser des solidarités et surtout, comment dialoguer si l’on s’isole des autres ? Chacun peut faire aisément l’expérience qu’en parlant, en marchant, en agissant avec les autres, sa propre pensée s’exprime, se forme, se transforme, rencontre des contradictions qui imposent de nouvelles réflexions et de nouvelles actions. Rien n’est plus impuissant qu’un citoyen isolé des autres citoyens. Nous avions pu citer la belle phrase de Maurice Merleau-Ponty :

Notre rapport au vrai passe par les autres. Ou bien nous allons au vrai avec eux, ou bien ce n’est pas au vrai que nous allons.

Si la vérité politique se construit à plusieurs, alors l’isoloir est-il une invitation à lui tourner le dos ?

Certainement pas, si l’on conserve en mémoire bien des idées que nous avons pu croiser dans cette vingtaine de chroniques depuis quelques mois. Chacun pense à l’intérieur de soi, et du coup chacun croit que sa pensée est « personnelle ». Il n’en est rien :

Dans le cas précis d’une campagne électorale comme celle que nous venons de vivre, qui donc peut se flatter de réfléchir sans tenir aucun compte des sondages ?

Sans calculer ce que son vote au premier tour peut induire au second tour compte tenu des institutions telles qu’elles sont ?

Sans craindre que tel candidat soit élu, que tel autre soit battu ?

Que telle ou telle mesure précipite sa vie dans un enfer comme celui que l’on inflige à la Grèce ?

Que tel candidat (e) qui a notre préférence ait ou n’ait pas une chance de figure au second tour ?

Que tel ou tel danger qui menace la vie quotidienne à nos yeux, des attentats à la perte d’emploi en passant par la scolarité des enfants ?

Qui peut se vanter d’être imperméable aux stratégies médiatiques ou s’émanciper de toute croyance vis-à-vis des discours construits autour des tornades financières ?

Soyons honnête : personne.

Qui peut se flatter aussi de n’être en rien porteur des passions que nous intériorisons tous, tout au long de nos vies, dans la logique sociale qui nous enveloppe et nous construit à notre insu : passion de la richesse, passion du pouvoir, passion des honneurs, de l’amour-propre, de l’image de soi ? Autrui est omniprésent à l’intérieur de moi, je vis sous son regard, son influence, et parfois sa domination. Comment alors savoir ce que je veux, ce que je désire, ce que je juge meilleur pour moi, pour toute la société, pour toute la planète ? Qui peut prétendre voir clair en soi ?

L’antique invitation de Socrate, « connais-toi toi-même », ne sera jamais périmée. Si j’ai besoin de dialoguer et agir avec les autres, cela serait vain s’il fallait me perdre en eux, dans cette dictature du « on » qui nous surplombe et qui exige sans cesse de moi que j’ai l’esprit en éveil, que j’aiguise mon esprit critique, que j’accepte de changer. Ce n’est pas sans raison que Descartes par exemple s’isolait dans son bureau pour exercer le doute critique et construire une nouvelle pensée, à l’aube des Lumières.

Portrait de Jean-Jacques Rousseau par Allan Ramsay, Nationall Gallery of Scotland - Domaine public via Wikimedia Commons

Jean-Jacques Rousseau avait repris à son compte l’exigence socratique, en soulignant la difficulté extrême qui s’opposait à nos efforts, pour séparer clairement ce qui vient de soi et ce qui, en soi, fait parler et agir la culture de la société environnante. Pour lui, le citoyen doit penser et se déterminer « dans le silence de ses passions ». Comme le sage platonicien, comme Diogène, comme Epicure et Epictète, comme Descartes et Spinoza.

Face à toute question éthique ou politique, une foule de coutumes, de préjugés, d’erreurs communes tendent à imposer en nous des réponses que nous n’avons pas réfléchies. Les mécanismes sociaux, les intérêts particuliers qui nous poussent à toujours préférer nos inclinations au souci de justice commune, les passions liées à la richesse, au pouvoir, à l’image de soi, tout peut s’imposer à nos jugements. Avec la meilleure bonne foi concevable.

Bien sûr, c’est aussi grâce à ces tendances communes contradictoires que les révolutions unissent des foules, que des progrès sont imposés (comme l’affirmait Kant), que toutes les grandes choses de l’histoire sont réalisées (comme le remarquait Hegel). Mais c’est aussi par cette voie que des foules ont pu se fourvoyer et tourner le dos au progrès de l’idée de liberté, à l’égalité, à la fraternité. Il y a donc un moment décisif : celui qui nous place seul face à nous même, une fois enrichi par les débats, les discours, les lectures. À l’abri des tumultes de l’histoire en train de se faire, et des mécanismes institutionnels qui imposent des logiques sans rapport avec la raison et la justice.

Pour y parvenir, Rousseau ressentait le besoin de partir dans ses Rêveries de promeneur solitaire, comme il a titré l’une de ses œuvres. Seul, marchant dans la nature, tout à ses pensées, cherchant son jugement sincère dans l’enchevêtrement de ses contradictions intimes.

Faute de forêt ou de montagne à l’écart des débats électoraux, au moins devons-nous y songer très fort dans l’isoloir : quel est mon vrai désir, par delà les calculs, de quelle humanité ai-je l’envie, à quel avenir ma voix doit-elle contribuer ? Et si le progrès humain passait par des foules de citoyens jaloux de leur individualité ?

NB : Relire, bien sûr, les œuvres de Rousseau, Platon, Descartes, Spinoza, Kant, Hegel ou Merleau-Ponty évoquée plus haut. Vient de paraître aussi, aux éditions de La découverte, Démocratie précaire. Chroniques de la déraison d’Etat, d’Eric Fassin. Stimulant.


Texture par Essence of a dream/flickr (CC-by-nc) ; Portrait de Jean-Jacques Rousseau Allan Ramsay [Public domain], via Wikimedia Commons

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Le crime ne doit pas payer http://owni.fr/2012/04/05/le-crime-ne-doit-pas-payer/ http://owni.fr/2012/04/05/le-crime-ne-doit-pas-payer/#comments Thu, 05 Apr 2012 14:04:46 +0000 Jean-Paul Jouary http://owni.fr/?p=104970

Tout ce qui est injuste est un obstacle à la liberté

- Kant

Le 18 février 1976, au Journal télévisé de 20 heures, sur la première chaîne, le présentateur Roger Gicquel apparaissait avec ces mots terribles : “La France a peur”. Ce jour-là avait été découvert un horrible meurtre d’enfant, et ces quatre syllabes devenaient aussitôt l’accompagnement verbal d’un sentiment d’insécurité. On oublie trop souvent d’ajouter que le présentateur avait poursuivi en mettant en garde ceux qui se laisseraient abandonner à ce sentiment.

Cliquer ici pour voir la vidéo.


C’est ainsi qu’un fait divers, certes horrible, tendait à concrétiser les angoisses de celles et ceux qui subissaient une baisse de niveau de vie et les premières restructurations industrielles et découvraient autour d’eux une délinquance devenue soudain insupportable. Le philosophe Claude Lefort montrait quelques années plus tard que dans de tels contextes, en démocratie, ceux qui souffrent le plus développent,

le phantasme du peuple-un, la quête d’une identité substantielle, d’un corps social soudé à sa tête, d’un pouvoir incarnateur, d’un État délivré de la division.

Je l’avais rappelé dans ma chronique du 12 janvier dernier : “L’idéal d’une démocratie sans le peuple . Alors, si d’irresponsables politiques en banalisent les expressions idéologiques comme Le Pen hier et bien d’autres aujourd’hui, les plus bas réflexes sécuritaires et xénophobes peuvent enfler et empoisonner les pensées et les actes d’un nombre croissant de citoyens.

Les crimes terrifiants de Montauban et Toulouse ont fait irruption dans cette campagne présidentielle alors que depuis plusieurs années des mots et des actes chargés de haine ont étendu au sommet de l’État la haine de l’autre que la tradition avait réservée à l’extrême droite raciste.

Dix jours de profils terroristes

Dix jours de profils terroristes

Au-delà de l'affaire judiciaire, sa couverture médiatique. Sur place, à Toulouse, notre journaliste a observé comment les ...

Les Roms, les Africains, les originaires d’Afrique du Nord, de petites phrases vulgaires et mesures et lois discriminatoires, subissaient déjà une atmosphère indigne de toute culture humaine digne de ce nom. Dans ce contexte, en pleine campagne, dans cette tourmente des mots qui ne sont jamais seulement des mots, l’assassin a massacré ses sept victimes.

Nous avons alors appris de Marine Le Pen et de l’actuel Président de la République que la France subissait le déferlement apocalyptique de vagues géantes d’immigrés, véritable tsunami chargé de meurtriers en puissance menaçant nos enfants, charriant de la viande hallal menaçant nos assiettes, des légions de religieux islamistes prêchant le terrorisme.

Des immigrés en général, d’ “apparence musulmane” ou non, expression hallucinante inventée pour l’occasion par un Français d’apparence présidentielle. Alors, de ce sommet de l’État tombé si bas qu’on ne l’appelle plus sommet que par habitude, des décisions sont aussitôt rendues publiques. La loi comme gesticulation électorale en réponse à des événements particulier ? Il est temps de rappeler ce que l’on appelle une loi.

Montesquieu remarquait certes que plus un État est autoritaire, moins il a besoin de lois, et que c’est le propre de la démocratie de les multiplier au contraire, non pour encadrer les citoyens, mais pour les libérer de l’arbitraire, les rendre égaux devant des règles communes, garantir leur liberté. Certes, les événements n’y sont pas pour rien : tout cas particulier qui échappe aux lois telles qu’elles sont suscite le besoin d’y inclure des dispositions adaptées aux réalités nouvelles.

Portrait de Montesquieu (1689-1755)

Ce qu’on appelle la “jurisprudence” répond à cette exigence, et celle-ci entre dans le processus historique des lois nouvelles. Celles-ci ne tombent jamais du ciel. Le plus souvent, c’est d’ailleurs une suite de conflits qui manifestent le sentiment grandissant des citoyens d’être à l’étroit dans les lois existantes, et qui créent la nécessité et la possibilité de lois plus larges, qui étendent la liberté de tous.

C’est cette contradiction permanente entre notre besoin de respecter les lois en place et notre besoin d’y résister toujours qu’Emmanuel Kant appelait l’ ” insociable sociabilité “ à la fin du XVIIIème siècle. En ce sens, les réactions présidentielles aux crimes récents sont l’exact contraire de cette idée libératrice de Kant, car en stigmatisant une partie des citoyens elles menacent la liberté de tous.

Le même Kant ajoutait que ” tout ce qui est injuste est un obstacle à la liberté “. En effet, nous n’avons besoin de lois que pour nous protéger de ce qui menace notre puissance de vivre, d’agir, de penser. Une loi pour être juste ne doit viser que cette protection de chacun contre les obstacles à sa liberté. D’où la belle définition de Kant, pour qui le droit n’assure la liberté qu’ ” en tant qu’obstacle à ce qui fait obstacle à la liberté “. Il est temps de rappeler ces quelques principes de la Philosophie des Lumières, que la France s’enorgueillit d’avoir contribué à rendre universels. De rappeler par exemple aussi ce que Diderot écrivait dans son article ” Autorité politique “ de l’Encyclopédie :

Il n’est d’autorité et de sécurité véritables dans une République soucieuse de légitimité,  ce n’est pas l’État qui appartient au prince, c’est le prince qui appartient à l’État.

Et Diderot ajoutait :

La flatterie, l’intérêt particulier et l’esprit de servitude sont l’origine de tous les maux qui accablent un État, et de toutes les lâchetés qui le déshonorent.

Quelques principes parmi d’autres, non pas totalement absents mais beaucoup trop rares dans cette campagne présidentielle.

En 1976, le journaliste qui avait dit “la France a peur” avait eu raison d’ajouter aussitôt qu’il serait grave de s’abandonner à cette peur. En 2012, l’empressement de certains à inviter à un tel abandon montre que si les crimes de Montauban et Toulouse n’avaient pas existé, il aurait fallu les inventer. Qui peut dire aujourd’hui à quoi mènera cette irresponsabilité ?

Le crime a existé, dont la monstruosité nous rappelle tous à nos devoirs de justice, de légitimité et de fraternité.

NB : Lire Kant, son petit livre qui reste essentiel, intitulé Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, et aussi sa Doctrine du droit, même si certaines thèses du philosophe prussien vieillissant portent la marque du temps. Lire aussi l’Article ” Autorité politique “ de l’Encyclopédie, signée par Denis Diderot. Lire enfin de L.Borelli, La France a peur, aux Editions de la Découverte, intéressante analyse de la formation du sentiment d’insécurité dans la France des dernières décennies.


Portrait de Montesquieu par (inconnu)/École française [Domaine public], via Wikimedia Commons ; texture par Temari09 (cc) via Flickr

Pas de poster-citation ce mois-ci dans les chroniques de Jean-Paul Jouary… Après le départ de Marion Boucharlat vers de nouvelles aventures, et en attendant l’arrivée de son remplaçant… /-)

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Deleuze pour (re)prendre la parole http://owni.fr/2012/03/29/prises-de-parole-communication-politique/ http://owni.fr/2012/03/29/prises-de-parole-communication-politique/#comments Thu, 29 Mar 2012 15:43:26 +0000 Jean-Paul Jouary http://owni.fr/?p=104105

Si la démocratie repose sur le discours, le dialogue, la confrontation, prendre la parole peut avoir plusieurs sens, et même plusieurs sens contraires. Si prendre la parole peut être entendu comme la décision du citoyen de “dire son mot”, d’exprimer ce qu’il pense, d’inter-venir (venir entre ceux qui débattent et décident), prendre la parole peu aussi être entendu comme la confisquer, en déposséder l’autre.

Et c’est bien ce conflit que l’actuelle campagne présidentielle met en scène jusqu’à la caricature. Jamais peut-être n’aura-t-on si fort ressenti l’exigence de chacun de parler et d’agir à la première personne du singulier, mais jamais on n’aura tant déployé de moyens pour l’empêcher ou en dévoyer le libre cours.

Certes, il faut d’abord remarquer que la Constitution de la Vème République a été entièrement conçue à cette fin. Son principal auteur, Michel Debré disait même à son sujet que,

la brutalité d’un mode de scrutin est l’expression d’une vue démocratique qui est bonne.

De fait, de 1958 à nos jours, tous les Présidents sans exception n’ont cessé de durcir les aspects les plus antidémocratiques du système institutionnel. Si les citoyens votent selon leurs aspirations et leurs besoins, ils ne seront cependant pas représentés à la proportionnelle à l’Assemblée, le rapport de représentation selon les partis politiques allant jusqu’à 28 contre un en 1958 pour le même nombre de voix !

Si malgré cela le vote parvient à traduire ces aspirations, le gouvernement a le droit de ne jamais les inscrire à l’ordre du jour, ou bien de faire adopter une loi contraire sans vote. Et si tout cela ne suffit pas, le Conseil Constitutionnel ( “chapeau dérisoire d’une dérisoire démocratie” selon les mots de François Mitterrand… qui en fit usage à son tour), peut annuler une loi votée, sans recours possible. Si tous ces obstacles sont franchis, le Président peut dissoudre l’Assemblée. L’article 16 l’autorise même à supprimer les libertés publiques, comme il peut décider des Traités et de la guerre. Il peut faire adopter à l’échelle européenne des dispositions censées, sans vote des citoyens et sans débat public, s’imposer au pays et même aux futurs gouvernements.

Reste l’élection présidentielle elle-même, qui consiste pendant toute la campagne à faire en sorte que, puisque deux candidats seulement s’opposeront au second tour, les électeurs soient persuadés qu’il faut voter dès le premier tour, non pour celui qui défend le mieux leurs convictions, mais pour celui qui peut battre au second tour le candidat qui leur tourne le plus le dos. Il restait à réduire les législatives à un simple appendice des présidentielles : c’est ce que Lionel Jospin a fait en faisant coïncider systématiquement les deux élections. Soyons clairs : aucun autre pays développé au monde ne possède un système institutionnel aussi monarchisé.

Bien entendu, tout cet édifice repose sur le vote des citoyens une fois tous les cinq ans, et c’est alors le moment démocratique, où les citoyens peuvent enfin prendre la parole, ce qui nous ramène à notre propos de départ. Prendre la parole est bien décisif puisqu’il ne reste que cela. Mais cela aussi apparaît bien difficile.

Nous sommes en pleine ère de la “communication”. Mais si cela signifie “mise en commun”, les moyens de communication de masse ont permis d’en faire en réalité, pour l’essentiel, l’outil d’une séduction par les “petites phrases” et les images fabriquées, organisée du haut vers le bas de la société. Le public n’y intervient d’ailleurs que de façon très largement scénarisée.

Du coup, lors d’une campagne électorale, les candidats se mettent ou sont mis en scène comme des personnes singulières, objets d’identification subjective, et non comme porteuse d’idées, de raisonnements, de démarches, de perspectives. On finit par difficilement distinguer les artistes médiatisés qui participent à la vie politique, et les politiques qui participent aux spectacles médiatiques. Gilles Deleuze écrivait en 1991 :

La philosophie de la communication s’épuise dans la recherche d’une opinion universelle libérale comme consensus.

Il y a bien sûr les discours, les meetings. Mais pour la première fois ils sont filmés et mis en images par des entreprises payées par les candidats eux-mêmes. Les séquences sont alors vendues ou données aux divers médias, ce qui transforme insidieusement l’information en propagande.

Il y a enfin Internet, Twitter, Facebook, les forums sociaux qui permettent aujourd’hui une circulation infinie et sans entrave des paroles et des idées, à l’écart des puissantes machines médiatiques et des tenailles institutionnelles. On a vu ce que les révolutionnaires et les “indignés” ont pu déjà réaliser par ces nouveaux moyens. Mais déjà certains candidats ont formé des équipes chargées de faire déferler dans ces médias sociaux des milliers d’interventions qui déguisent en participation citoyenne de violentes entreprises de propagande.

Où l’on voit que tout est enjeu de pratiques sociales, et qu’il est difficile pour une parole prise de n’être pas aussitôt reprise.

Alors, sur ces ruines de la République et de la démocratie, que reste-t-il aux citoyens?

Deux choses, aussi anciennes que les idées mêmes de république et de démocratie : la lecture raisonnée et la parole vivante. La lecture : il y a des livres, des articles, des chroniques, des journaux papier ou numériques, qui alimentent et provoquent la réflexion de chacun. Mais, puisque l’écriture est muette, selon les mots que Platon attribue à Socrate dans le Phèdre, et que réfléchir seul est souvent difficile, il demeure la parole face à face, le dialogue, chez soi, dans la rue, sur les lieux de travail ou de manifestation. La parole vive, simple, contradictoire et amicale en même temps.

C’est très exactement ce que Platon, critique s’il en est de la démocratie athénienne, de sa démagogie et de ses perversions, a su théoriser paradoxalement pour le plus grand profit des démocrates d’aujourd’hui. Si pour lui la pensée est ” un dialogue intérieur et silencieux de l’âme avec elle-même “, cette pensée ne peut se former et se développer vraiment que dans le dialogue avec d’autres pensées.

Tout le contraire de la façon que l’on a aujourd’hui de nous infliger du prêt à penser en avalanches médiatiques minutieusement élaborées pour séduire. Encore faut-il, ajoutait Platon, ne pas confondre le dialogue avec le combat oratoire pour vaincre, sans souci de l’échange, avec le seul plaisir de vaincre, comme le font les ” ignorants qui, lorsqu’ils disputent, ne se soucient nullement de la vérité, et dont l’unique but est de gagner à leur opinion ceux qui les écoutent “.

Et de définir le véritable dialogue :

Nous ne combattions pas l’un contre l’autre mais nous allions ensemble en vue de la vérité.

Le dialogue comme façon de penser ensemble pour avancer ensemble. N’est-ce pas ce dont tous les citoyens ont actuellement besoin pour échapper conjointement aux contraintes institutionnelles illégitimes et aux formes indigentes de débattre en politique ?

Ce critique de la démocratie antique, ne nous y trompons pas, a plus écrit pour les démocraties modernes que celles et ceux pour qui ce mot n’est plus qu’un slogan obligé.

N.B : Lire et relire Platon, le Phèdre, le Gorgias, le Philèbe, le Phédon et la République par exemple. Lire Qu’est-ce que la philosophie ? De Gilles Deleuze. Lire aussi un essai vivifiant de Régis Debray, Rêverie de gauche, qui vient de paraître. On me permettra d’indiquer enfin Rousseau, citoyen du futur, que je viens de faire paraître en livre de poche et en Cd audio (avec la voix de Daniel Mesguich), où je développe plus précisément les analyses qu’on me reproche parfois de trop réduire dans mes chroniques OWNI. Mais c’est la loi du genre.


Poster-citation par Marion Boucharlat pour Owni /-)

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Objectif électeurs http://owni.fr/2012/03/27/objectif-electeurs-21-voix-pour-2012-photojournalisme/ http://owni.fr/2012/03/27/objectif-electeurs-21-voix-pour-2012-photojournalisme/#comments Tue, 27 Mar 2012 15:11:35 +0000 Ophelia Noor http://owni.fr/?p=102596 OWNI est partenaire du projet 21 voix pour 2012, soit 21 portraits d'électeurs par des photojournalistes, autour des thèmes de la campagne. Rendez-vous le 19 avril à La Cantine pour une soirée de projections, de débats et d'ateliers autour de la représentation et la perception du politique dans les médias.]]> 21 voix pour 2012, ce sont 21 photojournalistes partis à la rencontre de 21 électeurs aux quatre coins de la France. Une série de portraits qui vise à témoigner des préoccupations et des attentes de citoyens à quelques semaines des élections présidentielles. 
Objectif électeurs #2

Objectif électeurs #2

21 voix pour 2012, ce sont 21 portraits d'électeurs par des photojournalistes, autour des thèmes de la campagne. Rencontre ...

Prendre le pouls des électeurs, dans leur diversité politique, sociale, économique. Certains se prononcent pour un candidat, d’autres hésitent ou choisissent de voter blanc.

Les personnes ont été choisies en fonction des thématiques qui traversent les débats de la présidentielle, 21 en tout, – chômage, réforme de la retraite, immigration, agriculture, décroissance, éducation, etc. Chaque photojournaliste a choisi un électeur en fonction de la thématique qui les intéressait. Puis le réseau de leurs contacts a fait le reste.

Nous diffuserons ces prochaines semaines quelques-unes de ces 21 P.O.M (Petites Œuvres Multimédia) en demandant à chaque photojournaliste de nous parler d’une photo de leur choix. OWNI s’associe à ce projet avec La CantineSilicon Maniacs, Youphil, L’Atelier des médias, l’EMI-CFD et le Studio Hans Lucas.

Nous vous donnons rendez-vous le 19 avril à La Cantine pour une soirée de projections, de débats et d’ateliers autour de la représentation et la perception du politique dans les médias.

Milan Szypura : l’artisanat


Jara par ©Milan Szypura/21voixpour2012

Le premier épisode de la série 21 Voix pour 2012 nous emmène dans un petit village du Loir-et-Cher à Saint-Agile. Le photojournaliste Milan Szypura est parti à la rencontre de Jara, artisan du cuir et sellier.  La question qui l’intéressait était de savoir comment une petite entreprise pouvait fonctionner sans que la croissance soit une fin en soi. “Il ne s’agit pas ici de décroissance” nous raconte Milan Szypura. Ce qui m’interpelle, c’est d’arriver à travailler,  en étant en accord avec ce que l’on produit, en misant sur la qualité et le local, sans chercher à gagner énormément d’argent.”

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La Ferrari rouge

Cette photo me parait intéressante pour sa valeur de contraste. Nous nous retrouvons dans son atelier de cuir, avec beaucoup de bordel, et au moment où la photo apparait dans le diaporama sonore, Jara dit qu’il n’a pas beaucoup senti la crise à son niveau. Je trouvais ça beau de mettre cette photo en contraste avec ces paroles. Évidemment cette Ferrari n’est pas à lui et, même si cela peut prêter à confusion à la première lecture, j’avais confiance dans le déroulement de l’histoire.

Jara Buschhoff dans son atelier - ©Milan Szypura/21voixpour2012

Parmi les clients de Jara, beaucoup de gens possèdent des voitures de luxe. En dehors des selles de cheval et de la maroquinerie, ils refont tout l’intérieur cuir de ces bolides. Dans l’atelier, on trouve toujours une de ces énormes voitures, mais j’ai eu de la chance cette fois-là d’avoir une Ferrari rouge. La semaine d’avant c’était une Rolls Royce blanche, et encore avant une Bentley bleue. Je trouvais que ce décalage était intéressant et emblématique du contraste entre ces voitures de luxe et la simplicité de leur mode de vie et de production artisanale, dans ce petit village perdu du Loir et Cher.

Jara Buschhoff, travailleur de cuir en région centre, chez lui le 26 Novembre 2011, au lieu-dit « Les Noyers» près de Souday ©Milan Szypura/21voixpour2012

Toufik Oulmi : l’islam

L’idée pour Toufik Oulmi, était d’aller au-delà du cliché véhiculé par les médias, celle d’un islam radical prôné par des barbus en djellaba. Lui qui n’est pas musulman, ne reconnait pas les gens de son entourage dans ces portraits médiatiques. Il rencontre Abdou, 38 ans, responsable ressources humaines par l’intermédiaire d’amis communs. “Je voulais montrer à travers Abdou, l’image que je connais de ces Français musulmans pratiquants.”

Deuxième cour de la mosquée de Paris près de la salle des prières. ©Toufik Oulmi/21Voixpour2012

Toufik Oulmi avait déjà une idée précise de la scénarisation de son reportage : “Je savais que je ne voulais pas montrer Abdou de face dès le départ.” Parler de cette religion en France, telle qu’elle est pratiquée par la majorité. Et parmi ces musulmans, des cadres, comme Abdou. “Je montre ses mains, sa silhouette de dos, je voulais laisser le spectateur imaginer son visage jusqu’au bout pendant qu’il nous parle. Je recherchais une ambiance de polar et  le noir et blanc allait de pair avec cette narration.”

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Derrière la vitre

On venait juste d’arriver chez lui. C’était la troisième et dernière fois que je voyais Abdou. Il commençait à me parler des jeunes diplômés qui partaient au Qatar mais je ne l’enregistrais pas à ce moment là. Il se mettait à l’aise, me disait de faire de même. J’avais toujours mon appareil photo à la main.

Portrait d'Abdou par ©Toufik Oulmi/21Voixpour2012

En fait j’étais placé devant la fenêtre. Juste avant, Abdou m’avait montré la vue sur la mosquée. J’essayais de la voir pendant qu’il me parlait. Ce n’était pas évident, de nuit avec tous les reflets des lumières et la buée. Abdou se tenait derrière moi, en train de se déplacer, je pense vers la cuisine. C’est à ce moment là que j’ai vu son ombre-reflet sur la vitre. Et j’ai déclenché.

À cette période, j’avais déjà commencé à monter une partie de la P.O.M, et je me sentais déjà dans l’ambiance polar. Je suis très cinéphile. La grosse lumière derrière son visage, venait de sa lampe halogène cassée qui penchait sur le côté. Je trouve que cette image reflète bien cette ambiance polar que je recherchais,  le côté mystérieux, le fait aussi de s’interroger sur les questions d’identité. Mais sur le coup, tu déclenches, tu ne penses pas à tout ça.

Les mains d'Abdou, face à la mosquée de Paris ©Toufik Oulmi/21voix pour2012


Vous pouvez soutenir le projet 21 VOIX POUR 2012 en faisant un don sur la plateforme de crowfunding KISS KISS BANK BANK

Photographies par Milan Szypura © etToufik Oulmi © tous droits réservés

Les photojournalistes :

Milan Szypura, 35 ans, ancien danseur contemporain, a commencé à documenter son environnement artistique avec un appareil photo argentique. Il se lance en tant que photographe professionnel en 2007 et après un passage par les Gobelins, il se forme aujourd’hui au photojournalisme à l’EMI-CFD. Son objectif, la couverture des conflits armés.

Toufik Oulmi a 39 ans. Après avoir été informaticien pendant de longues années, il prend l’avion pour la Tunisie en mars 2011. Dans le camp de Choucha, à la frontière tuniso-libyenne, il capture ces moments d’élégance et de dignité des réfugiés, dans la détresse de l’attente interminable pour passer la frontière. Ce reportage lui vaudra d’être lauréat du prix Polka Magazine/SFR jeunes talents 2011.

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http://owni.fr/2012/03/27/objectif-electeurs-21-voix-pour-2012-photojournalisme/feed/ 1
Les data en forme http://owni.fr/2012/03/26/les-data-en-forme-design/ http://owni.fr/2012/03/26/les-data-en-forme-design/#comments Mon, 26 Mar 2012 16:02:06 +0000 Paule d'Atha http://owni.fr/?p=103571 OWNI revient plus en forme que jamais. Au programme : une odyssée de data, une plongée dans la démocratie, une carte pour jouer au terroriste nucléaire et quelques data-outils à garder en poche. Bonne semaine !]]> Découvrir un texte vieux de plus de 3 000 ans sous un angle totalement inédit, c’est le projet magique de Santiago Ortiz, disponible sur son site moebio.com. Il a créé deux datavizualisations interactives de l’Iliade : une version “stream” qui permet d’observer quels sont les personnages les plus présents dans les différents livres de l’oeuvre d’Homère et une version “network” pour visualiser les relations entre les personnages.

Chaque personnage, symbolisé par un rectangle, est relié à un autre si ils dialoguent dans L’Iliade. De fait, plus un personnage est présent et interagit avec les autres, plus son poids graphique est important.

Achille, Hector et Zeus vont désormais devoir faire attention à leur e-reputation.

Maîtriser les effets nucléaires

Âmes sensibles s’abstenir. La carte d’Alex Wellerstein, historien spécialisé sur les armes nucléaires et travaillant à l’Institut américain de physique, est construite sur une idée politiquement peu correcte.

La bien nommée Nukemap – “Le calculateur d’Alex des effets nucléaires” ayant été jugé insuffisamment sexy par les amis du créateur – vous propose de faire exploser une bombe nucléaire de votre choix, à l’endroit de votre choix, et de visualiser les effets produits, au moyen de cercles concentriques de couleurs allant du rouge au vert et légendées.

Ainsi, si vous décidez de faire exploser à Paris une bombe “Little Boy” (du type de celles utilisées à Hiroshima), le rayon de l’explosion d’air où le taux de décès approcherait de 100 % serait une zone de 0,7 km2, allant de Rambuteau au nord, à Saint-Paul à l’est, Maubert-Mutualité au sud et presque Pont-Neuf à l’ouest.

Alex Wellerstein se défend de toute volonté morbide ou d’incitation au terrorisme : son projet est essentiellement à but de recherche, créé dans le cadre d’un des cours qu’il assurait sur l’histoire des armes nucléaires. Sa carte permet par exemple de comparer les puissances des premières bombes nucléaires à celles utilisées de nos jours.

Au 23 février 2012, son outil avait été utilisé plus d’un million de fois, pour 190 000 visiteurs. Il en a tiré une autre cartographie, qui visualise les lieux d’explosions les plus souvent choisis par les internautes : l’Europe et les États-Unis sont sureprésentés.

I love dataviz-democracy

Autre oldlink mais que nous avions vraiment envie de faire figurer dans notre veille, l’application développée par la start-up Dataveyes pour le compte d’Arte, à l’occasion de la sortie des séries de documentaires “I love Democracy”.
L’application présente les portraits de sept pays – États-Unis, Maroc, Tunisie, Grèce, Turquie, Russie, Inde – selon six indicateurs résumés en dataviz : longévité du chef de l’État, situation démocratique, scolarisation, inégalités hommes/femmes, facebook et Internet, inégalités de richesse. A ces indicateurs s’ajoute un tableau récapitulatif, et la possibilité de comparer ces sept pays-phares avec les autres nations du monde.

Plus que les données en elles-mêmes, ce sont les formes de datavizualisations, le graphisme et la navigation choisie qui font sortir cette application du lot. Seul bémol : la comparaison des pays pour la situation démocratique, peu claire.

La présidentielle s’analyse

Deux applications orientées vers la présidentielle ont particulièrement retenu notre attention ces dernières semaines.

La plus récente, lancée par Data publica en partenariat avec Matière primaire, est un observatoire des candidats sur Twitter à plusieurs variables : le nombre de followers, la sémantique – termes qui reviennent le plus souvent dans les tweets qui parlent d’un candidat sur une période donnée : mois, semaine ou dernières 24 h – et le bruit – nombre de tweets lié à chacun des candidats.
Basé sur l’API de search de twitter, l’application est mise à jour toutes les 30 minutes et récupère ainsi jusqu’à 1 500 tweets par candidat.
Cette base de données relativement exhaustive, servie par le design caractéristique et minimaliste de Matière primaire en font un outil agréable et utile.
Par exemple “Toulouse” arrivait en tête de la sémantique analysée hier pour les candidats Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy, Eva Joly et François Hollande (2ème position) alors que c’était la cinquième thématique la plus citée pour François Bayrou et Jean-Luc Mélenchon.

Moins récente, mais toujours d’actualité l’application d’analyse des discours des candidats à la présidentielle développée par Linkfluence et Jean Véronis Technologies pour LeMonde.fr.
Outil sémantique, il propose l’analyse informatisée de plus de 1 100 discours discours politiques (uniquement des discours publics) avec des fonctionnalités permettant de rentrer en profondeur dans les sujets : filtrer les discours par candidat, choisir les thèmes abordés, sélectionner les discours selon une période au moyen de la timeline, comparer la présence des pronoms et surtout visualiser les thèmes les plus présents dans chaque discours.
On regrette juste l’absence d’une fonctionnalité permettant de comparer les discours de candidats différents. Peut-être pour 2017 ?

La place rouge en open data

La Russie se met au datajournalisme : c’est en tout cas ce qu’espère l’équipe de journalistes et citoyens à l’intiative du site datajournalism.ru. Graphiquement très réussi, ce site entend à la fois :
- proposer une veille sur le data journalisme (nombreux liens vers le Datablog du Guardian) et inciter à la création d’une école de data journalisme en Russie ;
- mettre en contact journalistes, développeurs et designer pour monter des projets
- promouvoir l’open data en Russie (souhaitons-leur bonne chance) et publier les données déjà ouvertes.
Tout cela est également dans un but compétitif : le site datajournalism.ru espère présenter un candidat aux premiers Data Journalism Awards organisés par le GEN (Global Editor Networks), Google et le Centre de journalisme européen (CEJ).

En parlant d’Open Data, un lien qui fait rêver : la carte des retards de train en temps réel. Pas besoin de commenter, juste d’admirer.

Remplir sa data-boîte à outils

On termine cette chronique par deux initiatives de data journalisme version pratique.
L’une à suivre : la toute récente annonce de la part de Wikipédia de créer “Wikidata“, base de données gratuite, collaborative, multilingue permettant de collecter des données structurées.

L’autre à utiliser dès maintenant : datawrapper.de, l’outil de datavisualisation gratuit et en ligne développé par les data journalistes Nicolas Kayser-Bril et Mirko Lorenz pour l’ABVZ – organisation de formation des journalistes affiliée à BDVZ (Association des éditeurs de presse allemands). A l’image de Google Charts ou de Many Eyes, Datawrapper permet de créer des graphiques et des visualisations embeddables facilement sur son site internet.

Bonne data-semaine à tous !


Retrouvez tous les épisodes des Data en forme !

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http://owni.fr/2012/03/26/les-data-en-forme-design/feed/ 2
Les urnes seront-elles funéraires ? http://owni.fr/2012/03/15/les-urnes-seront-elles-funeraires/ http://owni.fr/2012/03/15/les-urnes-seront-elles-funeraires/#comments Thu, 15 Mar 2012 17:28:24 +0000 Jean-Paul Jouary http://owni.fr/?p=102197

Citation : “Si le peuple promet simplement d’obéir, il perd sa qualité de peuple” – Rousseau

La déclaration de candidature de Nicolas Sarkozy a confirmé la “stratégie du choc” analysée par Naomi Klein, à laquelle j’avais consacré une précédente chronique (“Qui veut voter pour l’enfer ?”) : c’est en agitant l’épouvantail du drame grec, délibérément provoqué puis aggravé, que le Président a invité à accepter de nouvelles régressions. Cet argument a aussitôt été repris sur le mode grotesque par Claude Allègre qui annonçait son entrée dans l’équipe de campagne sarkozyste.

On met le peuple grec en faillite, on lui impose alors des mesures qui détruisent tous ses moyens de remonter la pente, on ordonne alors des mesures plus drastiques encore, on le met sous tutelle, puis on prend les autres peuples à témoin : si vous ne voulez pas subir le même sort, il faut accepter de renoncer pour toujours à l’idée même de progrès social et de service public. C’est le sens du pacte signé par Nicolas Sarkozy à l’échelle européenne, et de la “règle d’or” qu’il entend introduire dans la Constitution : il deviendrait illégal de renouer avec l’idée même d’une vie meilleure.

Mais c’est une autre annonce qui aura marqué médiatiquement cette déclaration de candidature : celle de deux référendum stigmatisant les chômeurs et les étrangers. Aussitôt François Bayrou annonçait à son tour son intention d’organiser un référendum… sur la moralisation de la vie publique. Et quelques commentateurs de s’étonner de cette façon de donner la parole au peuple, contre les prérogatives du Parlement, comme si ces propositions étaient trop démocratiques. Et si toutes ces déclarations avaient à voir avec la ” stratégie du choc ” ?

De fait, dès la semaine suivante, Nicolas Sarkozy précisait qu’en ce qui concerne le “pacte” européen, il n’était pas question d’organiser un référendum. Trop compliqué pour les Français.

Résumons-nous : si l’on demande que le peuple soit consulté sur son avenir, cela est qualifié de “populisme” ; si on propose de le consulter sur des thèmes de division et de régression, cela devient de la démocratie.

Tout cela nous oblige à revenir sur le lien entre suffrage et démocratie en rappelant, pour le troisième centenaire de sa naissance, ce que Jean-Jacques Rousseau a établi sur la question.

Par delà le sens antique du mot, qui suppose que le peuple assemblé discute et décide de tout sans aucune médiation, la démocratie en son principe renvoie à une conception précise de ce qui est légitime et ce qui ne l’est pas : n’est légitime que ce que le peuple a explicitement approuvé, au moins majoritairement.

Certes, le peuple peut se donner des “gouvernants”, que Rousseau appelle des “commissaires” en ce qu’ils sont strictement commis à l’application des décisions ratifiées par l’ensemble des citoyens. Mais “gouverner”, tenir le gouvernail, n’ayant rien à voir avec “diriger”, déterminer le cap à suivre, nul gouvernement ne saurait prétendre « représenter » le peuple qui l’a élu :

Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires ; ils ne peuvent rien conclure définitivement. Toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi. (in Le contrat social).

Doit-on “moraliser” la vie politique ? Rousseau, encore :

Dans toute véritable démocratie la magistrature n’est pas un avantage mais une charge onéreuse.

Autrement dit, il serait vain d’espérer “moraliser” la vie politique à l’intérieur d’un système institutionnel qui tourne le dos à toute légitimité. C’est donc une affaire de Constitution. Et pour Rousseau, le principe même d’une Constitution digne de ce nom est simple :

Le Peuple soumis aux lois en doit être l’auteur.

Sans quoi il doit obéir à une volonté à laquelle il n’a pas pris part. Dans ce cas, il ne s’agit plus pour les citoyens que d’obéir. Or, “si le peuple promet simplement d’obéir, il perd sa qualité de peuple”. Voilà comment il s’agirait de parler à des citoyens dignes de ce nom, et qui serait de nature à les réconcilier avec la politique.

Dès lors, qu’un Président annonce qu’il décidera des référendum quand il le voudra, sur les thèmes qu’il choisira, excluant ceux sur lesquels le peuple ne serait pas d’accord (les traités européens, la casse de l’école, de l’hôpital, des services publics, l’âge de la retraite, les cadeaux fiscaux pour les grandes fortunes, etc.), cela revient tout simplement à programmer des plébiscites, qui en leur principe même sont la négation de la démocratie.

Les urnes seront-elles funéraires, où l’on déversera les cendres des libertés publiques ?


Poster-citation par Marion Boucharlat pour Owni /-)

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http://owni.fr/2012/03/15/les-urnes-seront-elles-funeraires/feed/ 16
Ton Président dans ton salon http://owni.fr/2012/02/09/ton-president-dans-ton-salon/ http://owni.fr/2012/02/09/ton-president-dans-ton-salon/#comments Thu, 09 Feb 2012 09:35:41 +0000 Jean-Paul Jouary http://owni.fr/?p=97694 Les Guêpes, le philosophe grec vilipende les démagogues qui ont perverti la démocratie athénienne. « Ces beaux parleurs (...) installés dans les hauts postes avec leurs flatteurs à gages ». De vieux acteurs d'un drame politique, donc. Que Jean-Paul Jouary a retrouvé dans son salon du XXI° siècle. ]]>

Citation : « La rhétorique est la contrefaçon d’une partie de la politique » Platon

Dimanche 29 janvier 2012, curieusement, je passe la soirée avec le Président de la République, ou plutôt, il passe la soirée dans mon salon et il me parle, à moi, il me prend à témoin, il me fait confiance, il flatte mon bon sens. J’entends ces phrases, « je veux dire aux Français », « les Français me comprennent », « les Français savent parfaitement ce qu’il en est », « chacun va comprendre », « je suis là pour parler aux Français », « les Français attendent des décisions », puis (à propos de F.Hollande) « il n’y a pas un Français qui croit que c’est vrai », il prévoit une « ruine », une « folie »… On dirait qu’il a lu mes deux chroniques précédentes et veut me donner raison, il m’invite à voter pour l’enfer. Il est tout près de moi, il me regarde, et nous sommes quinze millions à quelques centimètres de lui, quelle que soit la chaîne réglée.

Les autres candidats, de toute façon – ou du moins ceux qui ont le droit de mobiliser tous les écrans – sont passés aussi par mon salon ou rêvent d’y passer. Je passe à la télé donc je suis est devenu le premier principe de la vie politique comme du Top Chef pour une autre cuisine : c’est au sommet de la société que se concentre le pouvoir de décider qui aura le droit de séduire et qui ne l’aura pas, ou qui l’aura moins. L’orateur est là, qui a préparé ses mines et ses mots, puisque ce ne sont point les idées ni les actes qui devront décider, mais l’image et le charisme. J’avais il y a des années organisé un sondage IFOP sur Darwin ou Einstein, le premier avait obtenu 33% des voix sur le principe de l’évolution, et Einstein un petit 6%, ce qui laissait imaginer ce qu’aurait donné un duel oratoire télévisé entre les deux savants et quelques professionnels de la communication. Entre le raisonnement sur les réalités et l’art oratoire qui flatte notre subjectivité, le second a toujours quelque avantage si je reçois passivement ses mots en face à face. M’est alors revenue la phrase de Jacques Attali en 1972 :

La clarté du débat politique n’a jamais été une priorité politique.

Puis, en 1980 :

Il ne s’agit plus, pour changer le monde, de le dominer, ni de le raisonner, mais de le séduire.

Lorsque la démocratie fut inventée dans la Grèce de l’Antiquité, certains orateurs qui s’adressaient au peuple des citoyens assemblés sur l’Agora payaient les services des sophistes, maîtres de rhétorique, pour séduire déjà, et emporter des majorités à coup de beaux discours, sans souci de vérité ou de justice. Ce n’est pas sans raison que le dramaturge Aristophane, qui fut élève de Socrate, mit en scène de façon ironique et violente, dans Les guêpes, ces « beaux parleurs qui nous gouvernez », « démagogues de carrière », « installés dans les hauts postes avec leurs flatteurs à gages ». Ce n’est pas sans raison non plus qu’un autre élève de Socrate, Platon, dénonçait dans Le Gorgias, les orateurs qui se donnaient « l’air d’en savoir plus que n’en savent les connaisseurs », et ajoutait que « la rhétorique est la contrefaçon d’une partie de la politique ».

Platon (à gauche) et Aristote (à droite). Détail du tableau l'Ecole d'Athènes de Rafael Sanzio de Urbino. Wikimedia Commons (Domaine Public)

Les maîtres de rhétorique d’alors, équivalents antiques de nos « conseillers en image », formaient les capacités des démagogues afin qu’ils parviennent à convaincre les électeurs, lesquels ne disposaient il est vrai ni d’une éducation nationale obligatoire, ni d’une presse d’opinion. Du moins étaient-ils alors soucieux de voter toutes les lois et ne permettaient à aucun gouvernant de décider à leur place. Mais le face à face physique de l’orateur et de l’auditeur, sur l’Agora, permettait de s’adresser directement aux sentiments et aux passions, de séduire et charmer, si bien que peu de place était laissée en fin de compte au raisonnement et au débat rationnel. C’est ainsi que la première démocratie, où furent créées aussi bien les mathématiques que la philosophie, put condamner à mort et exécuter le premier philosophe au sens propre, Socrate, tandis qu’elle laissait libre cours aux violences iniques et aux courses aux richesses. On connaît la suite : cette perversion de la démocratie précéda la décadence d’Athènes, qui cessa de féconder la pensée et les pratiques politiques de l’humanité.

Ensuite la démocratie disparut sous la chape des pouvoirs théocratiques absolus. Puis sa difficile résurrection, du milieu du XIXème siècle jusqu’à la télévision, fit voter les citoyens pour des idées, des partis, des modèles divers, au terme de débats et actions militantes certes d’inégale rigueur, mais qui eurent le mérite d’impliquer activement les citoyens. L’orateur était loin, invisible, objet d’images de presse dans le meilleur des cas. Ces images de presse étaient souvent d’une extrême violence symbolique, mais demeuraient le support d’idées, d’idéaux ou de sentiments.

C’est la télévision qui a réinstauré le face à face antique entre l’orateur et le citoyen, les conseillers en communication remplaçant les sophistes mercantiles pour théâtraliser le discours, avec intonations et mises en scène adéquates. Avec le transfert massif de la souveraineté vers le sommet de l’Etat et des maîtres de l’économie, c’est la capacité à produire ces images qui est devenue un véritable monopole, tandis que toutes les formes de discussion décentralisée, les moyens de converser directement deviennent les bêtes noires des princes modernes. Ce n’est pas sans raison que les mouvements indignés remettent au premier plan une volonté moderne de débattre malgré les médias centralisés, et que de véritables guerres se multiplient en France comme partout dans le monde entre ces princes et les diverses formes de mises en réseaux incontrôlables. Il ne s’agit pas de faits divers ou d’anecdotes passagères, mais sans doute de l’émergence de nouvelles formes de lutte, de nouveaux enjeux, de formes inédites d’expression et de manifestation des aspirations citoyennes. A suivre…

NB : on peut lire et relire, de Platon, le Gorgias, le Ménon, La République, le Protagoras par exemple. Et d’Aristophane, Les guêpes, Lysistrata, l’Assemblée des femmes, les nuées, etc. Et puis, une fois encore, Rousseau.


Poster-citation par Marion Boucharlat pour Owni.fr.
Textures par Essence of Dream/Flickr (CC-bync)
Détail du tableau l’Ecole d’Athènes de Rafael Sanzio de Urbino via Wikimedia Commons (Domaine Public)

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Qui veut voter pour l’Enfer ? http://owni.fr/2012/02/02/qui-veut-voter-pour-l%e2%80%99enfer/ http://owni.fr/2012/02/02/qui-veut-voter-pour-l%e2%80%99enfer/#comments Thu, 02 Feb 2012 16:01:16 +0000 Jean-Paul Jouary http://owni.fr/?p=96903

Citation : “S’il veut conserver sa réputation de libéral, un prince sera contraint de taxer extraordinairement les populations, d’être dur “- Machiavel.

Si l’on entend dire ces temps-ci que le courage politique consiste à infliger autoritairement aux peuples des régressions sociales qu’ils refusent, on entend dire aussi qu’avant une élection il faudrait être fou pour proposer des mesures qui frappent les conditions de vie des citoyens de plein fouet. Dans les deux cas il est vrai, on sous-entend qu’être élu c’est diriger un peuple comme un berger conduit un troupeau, et que le Prince élu prétend savoir seul ce qui est bon pour ses sujets.

Depuis plusieurs jours, des amis me reprochaient de n’avoir jamais lu La stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre, de la canadienne Naomi Klein. A coup de superlatifs, ils m’expliquaient que l’on y trouvait le fil conducteur de plusieurs décennies d’événements planétaires aussi hétérogènes en apparences que des dictatures latino-américaines, des pays mis en faillite par le FMI, des guerres, un tsunami, des pays de l’est qui sombrent dans un capitalisme sauvage, un massacre en Chine…

Je me disais qu’un tel bric-à-brac ne pouvait être éclairant. Ces amis ajoutaient que l’auteur démontrait avec précision qu’une véritable stratégie avait été conçue dans les années 80 aux États-Unis, à Chicago, autour de Friedman, qui consistait à provoquer de véritables catastrophes – ou à profiter de catastrophes aléatoires – pour mettre à genoux des peuples entiers, les apeurer, les résigner à des régressions sociales qui seraient ressenties comme “moins pires” que le sort dans lequel ils se sentaient enfermés. Il est vrai que la façon qu’on avait eue d’endetter délibérément des nations entières, en Afrique ou en Amérique latine, pour exiger d’elles d’affamer véritablement leurs peuples sous peine de mise en faillite totale, m’avait alors comme beaucoup d’autres choqué et stimulé dans mes engagements politiques.

Quelques économistes avaient observé qu’une véritable hyperinflation provoquait les mêmes effets qu’une guerre militaire.

Naomi Klein.

Au Chili ou en Argentine, une explosion de la dette, organisée et planifiée, anesthésia les prétentions des jeunes démocraties. On fit grimper les taux d’intérêt jusqu’à 21% ce qui dévasta des pays entier comme le Brésil, l’Argentine ou le Nigéria, et entraîna des baisses dramatiques des produits exportés, lourdes de conséquences sociales et humaines : 25 chocs entre 1981 et 1983 ; 140 chocs entre 1984 et 1987 !

Plus une situation apparaît désespérée, plus les citoyens acceptent de renoncer à leurs maigres acquis sociaux et démocratiques : déréglementations, privatisations, régressions sociales, sanitaires, salariales, tout apparaît préférable aux catastrophes vécues et annoncées comme autant de tsunamis irrésistibles. Les citoyens horrifiés se débarrassent alors de leurs ambitions et de leurs rêves, et chassent du pouvoir celles et ceux qui les avaient portés en leur nom. Effacer la mémoire, effacer l’espoir d’un meilleur avenir : une guerre totale, une tempête. Comme l’avait fort bien vu Spinoza dès le XVIIème siècle, le secret des régimes autoritaires consiste à “tromper les hommes afin qu’ils combattent pour leur servitude, comme s’il s’agissait de leur salut”.

Alors que ce livre alimentait ma réflexion, quelques épisodes de la campagne électorale pour les présidentielles m’ont interpellé : le Président UMP de l’Assemblée nationale évoquait le programme de François Hollande (pourtant estimé fort timide par bien des citoyens de gauche) comme d’une menace dont “les conséquences économiques et sociales pourraient être comparables à celles provoquées par une guerre”. Diable. Quelques jours plus tard, l’ancien ministre de triste mémoire Claude Allègre, pourtant pourfendeur des pessimistes climatiques, se mettait à appeler à soutenir Nicolas Sarkozy parce qu’il serait un bon capitaine en “pleine tempête”. Dès que le FBI fermait Megaupload, l’Elysée dans un communiqué applaudissait cette offensive contre cette entreprise aux profits “criminels”. Guerre, tempête, crime… Si l’on y ajoute la menace terroriste et la crise de la dette, cela ressemble fort à une adaptation en langue française des scénarios concoctés jadis à Chicago.

Dans ce contexte-là il devient compréhensible qu’en dépit de prévisions électorales plutôt sinistres pour le président sortant, celui-ci ait pris le parti de proposer pire encore : TVA “sociale”, régressions de l’emploi et du pouvoir d’achat, destructions sociales diverses, limitations du droit de grève, etc. La Grèce, délibérément mise en danger de faillite (notamment par son nouveau premier ministre en personne), par ceux-là mêmes qui prétendent la soigner en la sommant de se mettre à genoux et de détruire tous les outils qui lui permettraient de se redresser, est devenue le nouvel enfer promis à tous les peuples d’Europe qui prétendraient préserver leurs acquis sociaux et leur espérance de progrès.

Portrait posthume de Nicolas Machiavel (Niccolò Machiavelli, 1469-1527)par Santo di Tito. Wikimedia Commons/Domaine Public

C’est la nouveauté sur le “vieux continent”, mais une méthode éprouvée sur les autres continents : pour être élu il faudrait être dur, et plus dur encore. Il faudrait, comme le répètent d’autres candidats effectifs ou potentiels (et sans doute moins rejetés parce que moins arrogants)  “être réalistes”, “être courageux”, “dire la vérité aux Français”, pour les unir droite et gauche confondues pour sauver le pays.

J’ouvre Le Prince de Machiavel et je lis :

S’il veut conserver sa réputation de libéral, un prince sera contraint de taxer extraordinairement les populations, d’être dur.

Gageons que ce torrent de menaces catastrophiques donnera le la de toute cette campagne.

NB : à lire, pour comprendre les stratégies sous-jacentes des principaux acteurs de cette présidentielle, l’extraordinaire livre de la canadienne Naomi Klein La stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre (2007) traduit par Lori Saint-Martin et Paul Gagné en 2008 aux Editions Leméac / Actes Sud. Une genèse passionnante, érudite et édifiante, étalée sur trois décennies, de cette stratégie du choc, qui surfe de dictatures chilienne ou argentine en fabrication de la dette, en passant par la guerre d’Irak. Au bout de cette analyse convaincante, Naomi Klein fait entrevoir la voie d’avenir : l’ “humble bricolage” des femmes et hommes qui réparent, solidifient, améliorent les matériaux qu’ils trouvent là où ils vivent, et visent l’égalité. A lire aussi, pourquoi pas, Le Prince de Machiavel…


Poster-citation par Marion Boucharlat pour OWNI.
Illustration par Sarai Photography/Flickr (CC-by) et portrait (détail) de Nicolas Machiavel par Santi di Tito [Domaine Public], via Wikimedia Commons

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L’idéal d’une démocratie sans le peuple http://owni.fr/2012/01/12/9-l%e2%80%99ideal-une-democratie-sans-le-peuple/ http://owni.fr/2012/01/12/9-l%e2%80%99ideal-une-democratie-sans-le-peuple/#comments Thu, 12 Jan 2012 17:27:37 +0000 Jean-Paul Jouary http://owni.fr/?p=93546

L’ennui, avec la démocratie, c’est qu’il y a un peuple. Il s’agit bien sûr pour tous de proclamer haut et fort que lui seul doit avoir le pouvoir et que celui-ci doit tout décider au nom du peuple et pour le peuple. Même l’extrême droite se réclame verbalement de la démocratie et ne cesse de crier son souci de défendre le peuple contre les partis qui le trahissent. Mais l’ennui, encore une fois, avec la démocratie, c’est qu’il y a un peuple. On comprend bien sûr que dans La République et Les lois, Platon ait pu écrire que jamais le peuple n’accèdera aux savoirs que requiert l’organisation d’une république, et l’on comprend aussi que Rousseau lui-même ait désespéré qu’un jour le peuple accède aux outils conceptuels et au type de réflexion nécessaires pour y parvenir : après tout l’assimilation de savoirs théoriques et du patrimoine culturel par le plus grand nombre est une chose historiquement récente, un acquis très relatif, inégalement réparti et sans cesse brouillé par les médias dominants. C’est même cette idée d’une ignorance foncière du peuple qui conduit une grande majorité des gouvernants français (et étrangers) à refuser l’idée même de référendum d’initiative populaire, comme à mépriser les manifestations et grèves diverses. Leur politique est mal expliquée, argumentent-ils, puisque le peuple ne la partage pas. Il y a ainsi, derrière tout cela, une vieille idée, celle d’une Vérité politique qui doit gouverner les citoyens quoi qu’ils en pensent, une Vérité définie par les “experts”, voire les “agences de notation” tout au long de l’actuelle campagne électorale, et que la “masse” des gens ne peut ni ne veut comprendre, aveuglée par ses intérêts égoïstes immédiats et ses passions. Tous les grands projets nationaux ou européens devraient donc être décidés par des commissions ou des élus réunis en Congrès, et protégés de tout verdict populaire. Décidément, le peuple apparaît comme le principal défaut de toute bonne “démocratie”.

Allons plus loin : en un sens, c’est vrai, en démocratie la place du peuple pose un problème historique sans précédent. Tous les autres systèmes fondent leur légitimité sur Dieu, sur la Nature, sur l’infaillibilité d’un “guide” quelconque, sur une “science” certaine, si bien que l’on peut se priver d’une réflexion, de discussions, de remises en question, puisqu’il présupposent une certitude a priori indiscutable et que l’on ne discute donc pas. Le peuple cesse de poser problème dès lors qu’il est tenu à l’écart et, pire, qu’il est persuadé qu’il n’est pas d’autre place concevable pour lui.

Or la démocratie en son principe (et non en pratique) fait dépendre les décisions d’une délibération et d’une expression du peuple lui-même. Pas de “vérité” a priori, mais une indétermination à laquelle les citoyens viennent mettre fin par des volontés exprimées à un moment donné. Il y a des discours, des échanges de mots, des expressions qui valent décision, bref rien d’irréversible. “La démocratie s’institue et se maintient dans la dissolution des repères de la certitude”, selon les mots de Claude Lefort dans ses Essais sur le politique. Elle ne supporte aucune autre légitimité que celle du peuple souverain, selon les mots de Rousseau, un peuple qui peut se diviser, se tromper, errer, changer d’avis, réparer ou aggraver ses décisions antérieures. On peut le regretter ou s’en féliciter, la démocratie est cette indétermination essentielle ou n’est pas. C’est pourquoi quiconque refuse de le reconnaître et l’accepter doit avoir la franchise de se dire haut et fort ennemi de la démocratie. À écouter les acteurs français des joutes électorales, notre pays ne manque pas d’ennemis résolus de la démocratie. Force est de reconnaître aussi que les énarques, les diplômés de Sciences Po, les experts de toutes sortes et, par exemple, les “agences de notation”, n’ont cessé de reconnaître après-coup leurs erreurs, leurs fautes, leurs imprévoyances, qui ont de fait accouché d’un monde en crise et peuplé d’inhumanités. En quoi donc serait-il dangereux d’accepter la démocratie : le peuple aurait-il pu faire pire ?

Seulement voilà : parce que la démocratie est synonyme d’indétermination, dès que les choses tournent mal, que se développe le sentiment d’insécurité, que l’avenir social s’assombrit, que les votes ne tiennent pas leurs promesses, alors ce système politique fondé sur le peuple donne le sentiment qu’il serait préférable d’être gouverné de façon plus autoritaire. Ceux qui souffrent le plus développent “le phantasme du peuple-un, la quête d’une identité substantielle, d’un corps social soudé à sa tête, d’un pouvoir incarnateur, d’un Etat délivré de la division”, écrivait aussi Claude Lefort en des termes évocateurs d’un sombre passé, mais qui conviennent si bien, sous une forme moins brutale, à notre époque.

Montée du Front national, rêve d’un homme providentiel qui réunisse droite et gauche, qui protège des menaces délinquantes ou migratoires, fascination du gouvernant autoritaire qui a le courage de braver le peuple, mépris pour les “indignés”, pour les jeunes révoltés, pour tout ce qui vient de la rue, des syndicats, des associations, des gens de culture… Ceux qui prennent la responsabilité de nourrir la crise et d’accepter ses conséquences inhumaines en se drapant dans la prétention de la compétence experte, sèment le doute sur l’idée même de démocratie.

Les choses seraient tellement plus claires si chacun osait dire clairement ce qu’il en pense. Les citoyens pourraient éclairer leurs choix à la lumière de leurs aspirations, de leur réflexions, de leurs débats, ce qui donnerait sa chance à ce qu’on pourrait enfin appeler, par delà les slogans, la démocratie.

NB : lire les Essais sur le politique de Claude Lefort, qu’il n’est pas interdit de compléter avec le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes et Du contrat social de Jean-Jacques Rousseau.


Poster citation par Marion Boucharlat
Illustration par Temari09 CC-by-nc remixée par Ophelia Noor

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