OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Moine-reporter: le bénévolat comme business model http://owni.fr/2011/05/19/moine-reporter-le-benevolat-comme-business-model/ http://owni.fr/2011/05/19/moine-reporter-le-benevolat-comme-business-model/#comments Thu, 19 May 2011 16:47:25 +0000 JCFeraud http://owni.fr/?p=63201

Mon invité du jour est suisse et aime l’art du contrepied (rien à voir je sais ;). Alors que les blogueurs réclament salaire au même titre que les journalistes envers et contre l’économie de la gratitude – Guillaume Henchoz, plus connu des pratiquants de Twitter sous le pseudonyme de @Chacaille défend lui l’idée que l’on peut pratiquer le journalisme comme un art monastique et bénévole, en parallèle -et non en marge- d’une activité salariée. Cela ne plaira pas forcément aux professionnels de la profession repliés dans un corporatisme qui n’a pas vu venir, avec l’internet, la révolution de l’information par tous et pour tous. Mais Guillaume a la foi communicative et l’enthousiasme des moines-soldats. Enseignant de métier à Lausanne, il est lui même blogueur et rédacteur en chef d’ “ITHAQUE”, un joli projet de journal associatif animé par des journalistes bénévoles, professionnels ou citoyens, avec du réel, du gonzo et de la BD dedans. Le premier numéro de cette revue journalistique au long cours (quatre numéros par an) qui entend aller “moins vite et plus loin”, paraîtra début juin sous la forme d’un beau berlinois de 20 pages papier. J’ai décidé de m’embarquer dans l’aventure en livrant une chronique en forme de charge contre le journalisme “civilisé”: “Nous sommes les nouveaux barbares de l’Info”. Mettant en application sa conception de l’économie du troc conventuel, Guillaume m’a offert en échange ce billet sur la figure du moine-reporter que vous allez lire et commenter de ce pas !

C’est un petit encadré de rien du tout dans le magazine de l’Association suisse des journalistes (Edito), qui m’a fait d’abord tousser, puis réfléchir. “ITHAQUE”, un journal foutraque et gonzo que l’on s’apprête à lancer entre amis (pros ou non), y est épinglé au titre que ses rédacteurs ne sont pas rémunérés. “L’avenir dira si le bénévolat est lucratif pour un journal – pour le métier de journaliste, c’est plutôt la mort!- Et si ça fonctionne longtemps !”, conclut l’article. Guts ! Passons rapidement sur le fait qu’une publication qui tire à 3.000 exemplaires quatre fois par an puisse faire tiquer à ce point la profession et concentrons nous sur l’essentiel : derrière cette critique du bénévolat, il y a quelque chose de fondamental. Un vieux réflexe corporatiste qui me froisse horriblement. Parce que je ne me paie pas, je serais donc incapable de produire un travail journalistique de qualité ? Et en prime j’aurais la mort de toute une profession sur le dos ? Passées les premières crispations engendrées par la lecture du petit article, je me suis demandé comment je pouvais illustrer et expliquer simplement mon mode de fonctionnement. C’est ainsi que l’image du moine-reporter m’est apparue. Une vision, quoi.

Notre abbatiale

“ITHAQUE” fonctionne un peu sur ce modèle. Un groupe de reporters s’est formé, dont certains exercent d’autres activités que le journalisme. Il y a également des journalistes à temps partiel et des journalistes indépendants, qui complètent leurs revenus avec des petits boulots à droite et à gauche. Le canard constitue un peu notre abbatiale. On s’y retrouve pour communier quatre fois par année. Notre credo, “moins vite, plus loin”, nous permet d’avancer pépère, de gratter ce qui nous démange et de chercher des poux dans la tonsure de qui on veut, en prenant le temps d’effectuer de longs articles.

Le moine-reporter prend place parmi les figures qui sont apparues récemment dans la pratique journalistique, où le fait de posséder ou non une carte de presse n’est pas (plus ?) déterminant. Je pense ici au “journaliste-citoyen” (ouille, le gros mot) ou encore à nos petits copains les “forçats de l’info“. Qu’on le veuille ou non, la personne qui tient sa chronique idéologiquement prescriptive, celle qui publie les pévés du Conseil général de sa commune sur son blog et l’autre là, qui bâtonne des dépêches toute la journée, font partie du paysage. Oui, vous avez raison, c’est un peu plus compliqué que cela : il y a d’excellents journalistes-citoyens et de brillants reporters de desk. Il y a même des journalistes d’avant le web qui se mettent à utiliser avantageusement les outils technologiques mis à leur disposition. Mais le constat s’impose de lui-même et on ne va pas trop s’y étendre tant le sujet est ressassé aux quatre coins de la blogosphère : le journaliste historique n’est plus  le seul prescripteur de l’information. Si la Toile a d’abord offert des tribunes à quiconque le souhaitait, elle a ensuite permis à de nombreuses personnes, dont je fais partie, de se bricoler une sorte de formation.

Pratiquer le journalisme… et autre chose

En lisant, en écrivant, en bidouillant, en échangeant, je me suis petit à petit formé à la pratique du journalisme. J’ai appris à réaliser des entretiens, brosser des portraits, lire entre les lignes un communiqué de presse, partir sur le terrain, tout cela grâce et à travers le web. Je n’ai jamais fréquenté une école de journalisme et n’y mettrai certainement jamais les pieds. Oh, bien sûr, je fréquente des journalistes – j’ai même fait deux gosses à une reporter encartée – mais je plaide la bonne foi : tout a commencé avant que je ne la rencontre. Les mauvaises langues diront que je fais du journalisme par les marges. Ce n’est pas mon sentiment. En fait, le journalisme est au cœur de mon activité professionnelle. J’ai juste un business plan un peu compliqué.

Pendant mes études, je me suis frotté à la rubrique culturelle du journal de mon université. J’ai aussi fait de la radio sur le campus. Par la suite, j’ai pigé pour un magazine spécialisé dans les médias – le même qui nous tombe dessus aujourd’hui – et j’ai tenu un blog qui reste un peu en friche depuis que je me suis lancé dans l’aventure d’”ITHAQUE”. J’ai toujours pratiqué le journalisme et autre chose : des études, un travail de libraire, puis mon boulot d’enseignant. Je ne me considère pas comme un journaliste-citoyen à proprement parler, parce que je ne défends pas une idéologie particulière. Les convictions qui m’animent et le drapeau que j’agite ne concernent que la pratique journalistique que je souhaite défendre : de la lenteur, une focale assumée et identifiable pour le lecteur, le récit d’histoires vraies telles qu’elles se sont offertes à mes sens. Honnête à défaut d’être objectif. Artisan-moinillon plutôt que chevalier blanc de la profession.

Quand d’autres cherchent à percer dans les rédactions quitte à bouffer du desk, circoncire des dépêches ou encore engloutir un reportage en 3.000 signes, j’opte pour un modèle différent. Je trouve de quoi boucler le mois dans une activité professionnelle à taux réduit, mais qui rapporte (enfin…en Suisse, parce qu’en France les salaires d’enseignant ne sont franchement pas folichons…) et qui me laisse le temps de travailler sur de longs reportages. Mes sujets, je les choisis. De l’angle au nombre de signes. Des illustrations à la police. Je fais ce que je veux. Ce que j’aime. Je prends mon temps. Je l’ai souvent fait pour le web, et maintenant, je m’apprête à transposer cette pratique sur “ITHAQUE”, sur du papier.

Mon obole pour pratiquer ce métier

A y regarder de près, ce modèle journalistique d’un nouveau genre est déjà en vogue dans de nombreux autres secteurs avec lesquels notre journal collabore. On ne demande pas à un écrivain de s’adonner exclusivement à l’exercice littéraire. De nombreux plumitifs ne se frottent à la littérature qu’une fois complies passées. De même, n’importe quel dessinateur vous confessera avoir travaillé à la poste ou comme livreur afin de pouvoir se dégager un salaire décent. Le monde de l’édition, de la littérature à la bande dessinée, ne fait vivre qu’un petit cercle d’auteurs. Les autres doivent s’inventer des modèles économiques où il est question de travailler en mercenaires ou d’exercer une activité complètement déconnectée de leur travail d’écriture ou de dessin. Pourquoi ne pourrait-on pas user de ce modèle dans le journalisme ? Si c’est le prix à payer pour exercer une activité journalistique en marge des médias mainstream, je m’acquitte volontiers de cette obole !

Frater Guillaume


Article initialement publié sur Sur Mon Ecran Radar.

Photos Flickr CC PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification par Roy Stead et PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales par Fergal Claddagh

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Forçats de l’info… on se pose les vraies questions ? http://owni.fr/2009/06/05/forcats-de-linfo-on-se-pose-les-vraies-questions/ http://owni.fr/2009/06/05/forcats-de-linfo-on-se-pose-les-vraies-questions/#comments Fri, 05 Jun 2009 21:49:21 +0000 Benoit Raphaël http://owni.fr/?p=1441
Je ne me suis pas exprimé sur la polémique provoquée par l’ édito de mon confrère du Monde sur les “forçats de l’info” (le surnom qu’il donne aux journalistes web).

Rien à ajouter au buzz, dont vous trouverez la plupart des éléments dans Libération (ainsi que sur le blog de “misspress”, future journaliste web, et sur Rue89).

Rien à ajouter à chaud, parce que l’article qui a mis le feu aux poudres caricature à l’extrême une situation complexe. Il simplifie trop (même s’il dit parfois vrai). Et il évite de manière trop évidente la nécessaire remise en question du vieux modèle de journalisme porté par l’industrie de la presse papier, pour nous permettre, nous professionnels de l’info sur le web, de débattre sérieusement d’un vrai sujet: qu’est-ce que le journalisme aujourd’hui ? Quels sont ses nouveaux rythmes, ses enjeux, ses frontières, ses contradictions? Quelle place donnent les médias papier, aujourd’hui dans l’impasse, à sa nécessaire mutation ?

J’ai donc préféré de rien dire (à part constater qu’il s’agissait du premier buzz orchestré (et brillamment orchestré! Sur Twitter!) par un journaliste papier du Monde. Ce qui, d’un point de vue sociologique, est assez intéressant).

Mais si on se posait les vraies questions ? Si on mettait (vraiment) les pieds dans le plat ?

1- Précarité, salaires: dire qu’un journaliste est mal payé, sans contextualiser, ne veut rien dire.
C’est tout le modèle de la presse online et offline qu’il faut prendre en compte, car les “OS” de l’info on en trouve sur le papier, en radio, en télé, comme sur le web, depuis des années. Les grilles de salaires varient selon les médias et leurs modèles d’affaire.

La vraie question à se poser aujourd’hui, pour chaque média c’est: Combien coûte, combien rapporte l’info ? Qui est payé, combien, pour faire quoi aujourd’hui? Pour quels vrais résultats, pour quelle valeur ajoutée ? Sur le web, comme ailleurs (surtout ailleurs), il y a d’importantes lignes de coûts que l’on pourrait supprimer pour les affecter ailleurs.

2- Par exemple: avons-nous besoin de payer (même mal) des journalistes pour reprendre mettre en forme des dépêches AFP ou Reuters?

Cela fait un moment que je pense que le modèle industriel sur lequel s’appuient les agences de presse est mort.

- A quoi ça sert, pour un média papier, de payer 1 million d’euros par an pour des dépêches AFP puisqu’on peut déjà les trouver sur Google ?

Je veux dire par là: pourquoi les publier puisqu’elles sont déjà accessibles (et donc dépassées), et surtout pourquoi payer la consultation sur le fil d’agences quand on peut consulter les mêmes infos, et même plus d’infos, sur Internet ?

Avec 1 million d’euros par an, on paie 15 journalistes.

Je ne dis pas que l’AFP ne sert à rien. Son travail de collecte d’info brute est indispensable. De qualité.

Je dis que la façon dont elle commercialise et distribue son info est obsolète.

Le batonnage des dépêches ne sert à rien. Ce n’est pas une mission pour des journalistes, mais pour des agrégateurs d’infos comme Yahoo ou Google News.
Qui va payer l’AFP ? Je ne sais pas. L’Etat, une taxe, Google… Mais pas les sites d’infos.
Pourquoi ? Parce que ce n’est pas leur mission.

- Un site d’infos qui se passerait des dépêches d’agence économiserait entre 10.000 et 50.000 euros par mois (si je tiens compte des salaires des journalistes chargés de mettre en forme ou d’enrichir les dépêches).

Avec 50.000 euros, on paie une petite dizaine de journalistes. On peut en affecter 1, 2 ou 3 à faire de la veille d’infos et du journalisme de liens pour produire les breaking news. Et le reste à faire : de l’enquête, de la contextualisation, du reportage, de l’animation de communauté, de la documentation etc etc

Quand j’ai arrêté l’AFP et Reuters sur le Post.fr, j’ai embauché deux journalistes et l’audience a grimpé de 25%.


3- Le paysage de l’info a encore muté ! L’info s’est accélérée, elle s’est techniquement scindée en deux.

Quel est ce paysage?

C’est Matt Thomson qui en parle (indirectement) le mieux. Matt a participé au fameux EPIC 2014 (sur l’avenir des médias) et au blog “newsless.org“. J’ai eu le plaisir de croiser la semaine dernière.

Sa baseline, provocatrice (et intraduisible!):

“It’s time to stop breaking the news, and start fixing it

Je ne rentre pas dans le détail de son discours, je vous renvoie à ses travaux, mais ce qui ressort de son analyse c’est qu’il y a deux rythmes, deux valeurs d’infos, qui s’entrecroisent:

- Les breaking news, l’info en direct, remise à jour régulièrement. C’est désormais le domaine de Twitter, ce site de microblogging (petits posts de 140 signes) qui, en quelques années, s’est imposé comme le Google de l’info live.

Cela peut vouloir dire qu’il faudra remplacer ces archaïques articles-dépêches qui nous prennent tant de temps, par des “topics” (des fils de news sur un sujet) qui seront mis à jour par des micro-articles de 140 signes (brèves ou liens): par des journalistes, ou par la communauté. Ici, la valeur, ce n’est pas la mise en forme, l’illustration, mais l’immédiateté et la conversation.

- Les “wiki news”, l’info façon wikipédia: sur un sujet d’actualité (aussi “chaud” que le crash d’un Airbus, ou sur une temporalité plus large comme la crise financière). Une info ressource, à forte valeur ajoutée, remise à jour avec la communauté, qui contextualise, permet d’aller plus loin, de comprendre, qui sert de ressources et éditorialise les ressources existant sur le web.
C’est aussi l’info de première main, exclusive, de l’enquête, du terrain (web et “in real life”). Le tout compris dans le cadre d’une mécanique d’info en réseau.

On passe du contenu/story au “topic”, du contenu/article au process. L’info vivante, communautaire, où la mission du “journalisme” (pris comme une fonction partagée avec la communauté, pas comme un métier) est d’éditorialiser, d’enquêter, d’animer, de rassembler, de copier (si si…) et d’enrichir en permanence.

Alors, prêts à (per)muter ?

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