OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Egypte: le mode dégradé de la révolution http://owni.fr/2011/01/30/egypte-le-mode-degrade-de-la-revolution/ http://owni.fr/2011/01/30/egypte-le-mode-degrade-de-la-revolution/#comments Sun, 30 Jan 2011 14:35:08 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=44638 Depuis que l’Etat égyptien a intimé à ses fournisseurs d’accès à Internet l’ordre d’éteindre momentanément Internet le 28 janvier, le monde est resté cramponné à la télévision. Et tandis que la chaîne saoudienne Al-Arabiya était dans la tourmente (MàJ du 30/01 à 16h40: depuis que le roi Abdallah d’Arabie Saoudite a affiché son soutien à Moubarak, la couverture a sensiblement changé), des millions de paires d’yeux se sont braquées des heures durant sur le stream d’Al-Jazeera English. En boucle, des images hallucinantes se sont succédées: on a vu des manifestants stopper leur marche en avant pour effectuer leur prière du vendredi à quelques mètres seulement des forces de police; on a vu les chars entrer dans Le Caire; on a entendu les forces de sécurité frapper à la porte du studio cairote pour couper la retransmission.

La génération des baby-boomers en témoignera, la télévision donne bien souvent l’impression de vivre l’histoire en direct, comme à l’époque du premier pas de Neil Armstrong sur la Lune, en 1969. La couverture effectuée par la chaîne qatarie réveille ce sentiment, qu’on croyait réservé aux pages sépia des anthologies illustrées du petit écran. Dans un écosystème où l’exclusivité se dispute d’ordinaire à la propriété, elle a décidé de fournir une partie de ses images en Creative Commons. Et pour parachever le tout, son site a enregistré une hausse de fréquentation de 2.500%. Gênées aux entournures, les autorités égyptiennes ont tenté d’éteindre le signal en ordonnant la confiscation des accréditations de la chaîne. Qui fera appliquer cette décision? Selon certains témoignages directs, les équipes de la chaîne auraient été menacées.

Vendredi, les forces de police encore inféodées à Moubarak avaient tenté de sécuriser l’accès au siège de la télévision d’Etat, celui-là même où le président chahuté à annoncé la démission du gouvernement. Aujourd’hui, il semble que ce canal soit aussi épais que le lien qui relie encore l’octogénaire à son siège de président: une peau de chagrin. Dans un climat de blackout généralisé, Al-Jazeera a fait le travail de C-SPAN, la chaîne parlementaire américaine, publique et sans publicité, qui retransmet en continu les débats du Sénat et de la Chambre des représentants. On n’en parle pas souvent, mais C-SPAN (l’abréviation de Cable-Satellite Public Affairs) est un formidable acquis social.

Dupliquée, répliquée, distribuée

Depuis les événements iraniens de juin 2009, l’idée d’une révolution assistée par les réseaux a fait du chemin. Elle a fait son chemin de Damas aussi, c’est à dire qu’elle est revenue en pleine face de ceux qui s’en sont fait les prophètes. Après le soulèvement tunisien, nombreux sont ceux qui ont voulu voir la marque de Facebook ou de Twitter dans le renversement de Ben Ali. Et même si le disjoncteur a sauté du côté égyptien, faut-il se fier à la locution post hoc ergo propter hoc, “ceci, donc à cause de ceci”? Entre les agnostiques (qui croient à l’idée d’une révolution pilotée par Internet sans vouloir lui donner de nom) et les apostats (qui ont renoncé à cette croyance), on se chamaille à grand renfort d’appréciations. Sur Rue89, Pierre Haski cherche l’analogie entre la contagion arabe et les “manifestations du lundi” qui ont précédé la chute du Mur de Berlin:

Le résultat est que la fuite de Ben Ali a eu l’effet du mur de Berlin sur les peuples du monde arabe. Psychologiquement en tout cas, puisque dans de nombreux pays (Algérie, Jordanie, Egypte, Yémen…), on a enregistré des immolations désespérées comme à Sidi Bouzid, des manifestations contre le pouvoir en place, la censure d’Internet pour empêcher les réseaux sociaux d’y jouer le rôle de vecteur du ferment révolutionnaire qu’on a vu en Tunisie.

Avec la tournure de la révolte égyptienne, la tentation est grande de renvoyer Gil-Scott Heron et sa saillie de 1970 contre les médias de masse (“The Revolution Will Not Be Televised”) sur les rayonnages des aficionados du spoken word. Mais attention à l’emballement: la révolution n’est pas plus télévisée aujourd’hui au Caire qu’elle n’était tweetée hier à Tunis, Téhéran ou Chisinau. Al-Jazeera n’est “que” le véhicule d’une révolution dupliquée, répliquée, distribuée, disséminée, faxée.

Mode dégradé

A y regarder de plus près, l’Egypte est le négatif presque intact de la Tunisie. Après l’immolation de Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid, les réseaux servaient à donner de la profondeur à une télévision réduite aux clapotis en surface. Après les premières manifestations à Suez, Alexandrie ou Le Caire, cette même télévision permet de contourner le cheval de frise d’un Internet coupé.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Le plus remarquable dans l’exemple égyptien, c’est l’adaptation des usages. Sur les canaux IRC ou les Etherpad mis à disposition un peu partout sur le web, les Anonymous ont mis en place deux stratégies aussi antinomiques qu’elles sont complémentaires. D’un côté, ils privilégient la distribution de flyers, l’envoi de signaux en morse, le recours aux radios amateur (HAM radios) et même l’envoi par fax des mémos de WikiLeaks concernant l’Egypte. C’est la partie convexe, la plus saillante, qui ne cherche pas à se cacher mais tire la langue à la censure, parce qu’elle est lui offre précisément très peu de préhension. Aux premières heures de la contestation, certains allaient même jusqu’à invoquer un argument presque néo-luddite: “Ne vous appuyez pas sur les communications en ligne”.

De l’autre côté, loin d’appeler au bris des machines, les mêmes Anonymous fournissent aux Egyptiens le vade-mecum d’un Internet court-circuité: Tor, proxies, VPN, IP nues, ils fournissent toutes les indications pour échapper à la surveillance du web. A cela s’ajoutent plusieurs initiatives, comme celle de We Rebuild, un wiki qui agrège également les moyens de contournement, ou du FAI français FDN (French Data Network), qui a ouvert un compte d’accès RTC aux Egyptiens pour se connecter à partir de leur ligne fixe. En d’autres termes, les soutiens aux manifestants tentent d’organiser la résistance et la guérilla à l’aide de modems 56K. C’est la partie concave, tournée vers l’intérieur, presque vers l’arrière. C’est la réappropriation des principes du do-it-yourself: Internet, comme la révolution, “fais-le, fais-là toi même”.

L’apparition et le développement de ce mode dégradé de l’Internet (à cette échelle, c’est le premier exemple) laisse-t-elle présager de l’apparition d’un web “steampunk”, capable de régresser pour mieux combattre? Comme une blatte dans l’hiver nucléaire, le réseau se comporte comme un roseau. Ce qui se passe en Egypte n’est pas un mot-valise destiné à garnir des quatrièmes de couverture ou à faire école. Ce qui se passe en Egypte n’est ni une révolution Twitter, ni une révolution télévisée. C’est une révolution informée. Et à ce jour, c’en est la forme la plus aboutie.

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Crédits photo: Flickr CC modenadude, capture d’écran du stream d’Al-Jazeera.

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Voeux, prophéties et interrogations pour les médias en 2011 http://owni.fr/2011/01/03/voeux-propheties-et-interrogations-pour-les-medias-en-2011/ http://owni.fr/2011/01/03/voeux-propheties-et-interrogations-pour-les-medias-en-2011/#comments Mon, 03 Jan 2011 11:13:11 +0000 François Bougon http://owni.fr/?p=40913

2010 est enterrée, vive 2011. C’est la période des vœux, des prévisions et aussi des interrogations pour le secteur des médias toujours en crise (d’identité). Les divinations se multiplient. L’avenir de la presse, des journalistes et de leurs journaux à l’heure des réseaux sociaux n’échappe pas aux prophéties.

Depuis le temps que chacun cherche le nouveau modèle économique, tel l’or dans des collines arides, “il serait temps qu’on le trouve”, s’impatiente Toni Fitzgerald de Media Life. Les médias doivent enfin “monétiser” leurs activités numériques et, aux Etats-Unis, deux événements importants seront scrutés de près en 2011, prévient-il: le New York Times fera payer une grande partie de son contenu sur le net ; et News Corp de Rupert Murdoch, déjà partisan du modèle payant, lancera un quotidien spécialement conçu pour l’iPad, The Daily.

Tablettes de la foi (en l’avenir)

Ces fameuses tablettes du nomade numérique vont-elles en effet ouvrir la voie de la rédemption et sauver la presse délaissée par la publicité rémunératrice? En décembre, des chiffres américains ont pourtant jeté le trouble. Selon eux, plusieurs magazines américains ayant lancé des éditions numériques, notamment depuis la sortie en avril de l’iPad d’Apple, n’ont pas pu faire durer l’engouement provoqué par la nouveauté. Minute papillon, nous conseille Mashable.

Les chiffres ne sont pas si mauvais, si on les compare aux ventes en kiosques. Mais Lauren Indvik pointe surtout les raisons qui empêchent le décollage attendu: le prix, le manque de visibilité dans l’App Store, où il n’existe pas de kiosque numérique, l’absence d’innovation dans ces versions iPadisées, et enfin leur taille, ce qui effraie les utilisateurs désireux d’économiser leur espace de stockage. En France, plusieurs titres se sont alliés pour répondre à Google et Apple. Au premier trimestre, ils lanceront leur kiosque numérique.

Dépression et introspection post-Gutenberg

L’avenir du journalisme et des journaux, l’irruption des réseaux sociaux, les techniques de référencement, le journalisme de données… tous ces sujets continuent, dans ce contexte, à faire couler de l’encre et déchaîner les passions. Aurélien Viers, rédacteur en chef de Citizenside (dont l’AFP est actionnaire), recense quelques tendances pour 2011: importance du référencement, des communautés, des jeux, de la recommandation, etc. Horreur!, a crié Jean-Christophe Féraud des Echos. “Jusqu’où ce métier va-t-il tomber?” s’est-il demandé sur Twitter. Les robots et les algorithmes sont-ils en train de s’imposer, tous les journalistes vont-ils se mettre à “bouffer du code”? Non, juge Sébastien Bailly:

“Il ne faut pas croire qu’on ne puisse pas concilier ses exigences professionnelles avec la pratique des moteurs de recherche : les outils existent, les contraintes du référencement sont là. On peut les ignorer, on peut tomber dans le panneau de l’audience sans réflexion éditoriale, on peut aussi s’en faire des alliés et avancer vers un journalisme exigeant. C’est cela qui s’invente aujourd’hui.”

Le Nieman Journalism Lab a questionné les “gens les plus intelligents dans le journalisme” pour les prédictions, une mine pour les amateurs de conjectures. Deux au hasard: Chine Nouvelle (Xinhua) va vivre son “moment CNN” et devenir un des acteurs mondiaux de l’information, selon Adrian Monck du Forum économique mondial. De son coté, Dave Winer, l’un des pionniers du web, compare les “paywalls” à la ligne Maginot, qui était adapté à la Première guerre mondiale mais n’a rien pu faire à l’heure de la Seconde.

Mise à jour : le 31 décembre à 14h27 suite à des tweets de Jean-Christophe Féraud (@JCFeraud), qui souligne qu’il n’est pas contre Google ni les algorithmes mais pour le journalisme de l’offre. Quelques textes pour mieux comprendre sa position ici et .

Silence et déconnection

Au milieu du bruit et de la fureur, une petite musique émerge. Face à l’infobésité, pourquoi ne pas se déconnecter tout simplement? On observe parmi les plus passionnés des “geeks” une trêve des tweets, des courriels et de Facebook. Petite diète après indigestion… Danah Boyd, anthropologue américaine célèbre pour ses travaux sur les réseaux sociaux, a annoncé sur son blog un congé sabbatique de courriels entre le 9 décembre et le 12 janvier. Quelle est la nouveauté, me direz-vous? Tout le monde le fait… Non, elle ne lira AUCUN des courriels reçus durant cette période qui iront directement dans les poubelles de l’histoire. Elle en a averti ses interlocuteurs depuis six mois: ne m’envoyez pas de mails, je ne les lirai pas, la terre continuera à tourner. “L’avantage d’un congé sabbatique pour les courriels est que je peux vraiment prendre du temps, décompresser et retourner à la vie quotidienne en janvier sans une liste écrasante et ingérable de choses à faire”, écrit-elle.

Autre exemple, David Berkowitz, dans Social Media Insider, évoque ses “neuf jours de silence” à l’occasion de vacances au Brésil, en Argentine, en Uruguay et au Chili. Le plus dur, selon lui, fut d’être coupé de Foursquare pour devenir le “maire” virtuel des lieux biens réels qu’il a visités. “En tant qu’accro aux réseaux sociaux personnellement et professionnellement, j’ai été en mesure de déconnecter et d’avoir autant de bon temps à l’étranger que si j’avais emporté mon graphe social tout au long du voyage. Se déconnecter complètement est possible — une leçon que j’ai été heureux d’apprendre et de partager”.

Soyons fous, un dernier pour la route

Aaron Goldman se lance, lui, dans des prédictions “folles”: Facebook, Apple, Groupon, Ebay lanceront leurs propres moteurs de recherches, Google tombera sous les 60% de parts de marché de la recherche aux Etats-Unis et, dans le rayon achats, Google fera l’acquisition de Tivo – pour entrer pleinement dans le secteur de la télévision -, Twitter tombera dans l’escarcelle de Microsoft et Yahoo dans celle de Comcast. Enfin, Adobe s’emparera d’AOL.

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Article initialement publié sur le blog de l’AFP Mediawatch

>> Photos flickr CC Antonio Ponte ; Johan Larsson

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Picnic de geeks à Amsterdam http://owni.fr/2010/09/26/picnic-de-geeks-a-amsterdam/ http://owni.fr/2010/09/26/picnic-de-geeks-a-amsterdam/#comments Sun, 26 Sep 2010 13:17:42 +0000 Stéphane Distinguin et Maxime Coupez http://owni.fr/?p=29543 Un millier de personnes dans une usine désaffectée du début du 20e siècle, la Westergasfabriek. Éclairages tamisés, chaises de designer. Micro à la main, Jeff Jarvis, pape de l’Internet, bloggeur, professeur vénéré de la New York University, livre à la foule médusée sa vision du futur du journalisme.

Nous sommes à Amsterdam pendant le PICNIC festival, événement annuel proposant modestement à ses participants de “concevoir le monde de demain”. On ne déjeune pas sur l’herbe (et je vous mets au défi de bien manger dans la capitale batave), mais le café y est délicieux.

Au programme, trois jours de conférences et d’ateliers animés par des spécialistes du design, de l’architecture, des biotechnologies, des médias, etc. Des stars du moment (Dennis Crowley, co-fondateur de Foursquare) mais aussi des monstres sacrés, Steve Hayden, directeur artistique de l’agence de pub Ogilvy, Tim Kobe, fondateur de l’agence Eight (qui a créé l’Apple Store de Manhattan), Jeff Jarvis donc, mais aussi des entrepreneurs venus présenter leurs projets et des universitaires.

Jeff Jarvis au Picnic Festival 2010

PICNIC, c’est Amsterdam, la Hollande, l’autre pays du fromage et celui du « Red Light District » : on y est détendu, très ouvert, mais dans des limites claires pour les seuls initiés, partout on observe un souci porté à tous les détails, ce besoin évident d’optimiser l’espace sans le « dénaturer » qui est une contrainte permanente. PICNIC comme Amsterdam, c’est un mélange surprenant de « cool » et de « formal » : en tant que Français, on est un peu décontenancé tant nous sommes presque l’inverse, formel avant d’être décontracté, un premier rappel que, dans notre milieu, notre dénominateur commun est plus californien qu’européen, on se sent plus éloigné d’un confrère hollandais ou allemand.

La référence en Europe

De l’avis de beaucoup, PICNIC est la meilleure conférence sur l’innovation en Europe, une expérience à vivre, une “source d’inspiration”, un rendez-vous incontournable. On paie cher et on vient de loin pour y assister. C’est sans doute ce qui se fait de plus « œcuménique » : la conférence LeWeb, c’est le web, bien sûr, mais le business d’abord, un peu le Davos de l’Internet à Paris en décembre, Lift est plus « intello », on remarque ses affiches, la signalétique (les meilleures !) mais Genève comme Marseille ont du mal à vibrer vraiment sur nos sujets (et pourtant quel potentiel !), le Chaos Communication Camp à Berlin dans un aéroport désaffecté tous les quatre ans (décalé de deux ans avec son événement frère : Hacking at Random à Vierhouten, en Hollande aussi), c’est la concentration des hackers du monde entier comme on pourrait parler de concentration de bikers. PICNIC est un peu au milieu de tout ça, on lui reproche (trop « commercial » pour certain, trop « fumeux » pour d’autres) mais c’est tout son charme, son intérêt. Sur trois jours, PICNIC est sans doute ce qui s’approche le plus de la référence absolue : le festival SXSW réunissant pendant deux semaines les communautés de la musique, du cinéma et de l’ « interactif » à Austin, Texas, chaque année en mars. C’est à SXSW par exemple que Twitter ou Foursquare ont vraiment émergé.

Les conférences PICNIC sont d’excellente tenue : intervenants passionnés, contenus pointus et échanges très riches entre les participants. Les thèmes sont volontairement variés, l’idée étant de faire parler des personnes de tous horizons culturels et professionnels sur tous les sujets. Des entrepreneurs ou des exécutifs de grandes entreprises partagent leur expérience du crowdfunding. Pour inventer de nouvelles méthodes de design, on invite un constructeur d’automobiles, le fondateur d’une grande agence de design ou d’un site d’e-commerce social et un professeur. Il y a aussi des conférences sur le futur de la médecine, sur les médias sociaux, sur les business models de l’industrie culturelle, sur l’urbanisme et l’architecture, un concours d’étudiants en design pour concevoir la rue du futur (organisé par les équipes de Cap Digital, dans le cadre du partenariat avec Futur en Seine), un atelier de réflexion sur l’école idéale…

Des ces trois jours animés, on retiendra par exemple :

- que l’avenir économique de la vieille Europe est peut-être entre les mains de ses jeunes designers (Andrew Bullen, président de l’European Street Design Challenge) ;

- que « designer » c’est dialoguer en permanence pour parvenir à un accord sur les besoins des utilisateurs et sur les moyens de les satisfaire (Paul Pangaro) ;

- que les journalistes du futur devront travailler en réseaux ultra-spécialisés et flexibles pour survivre (Jeff Jarvis) ;

- que les voitures de demain seront co-créées par des communautés de designers et produites localement dans des usines complètement modulables (John B. Rogers, fondateur de Local Motors) ;

- que Foursquare deviendra bientôt l’outil indispensable pour optimiser son expérience de la ville (Dennis Crowley, co-fondateur de Foursquare) ;

- qu’on ne continuera à vendre des livres que si on parvient à en faire des fétiches, des objets de désir et de collection (Cory Doctorow, écrivain).

Cory Doctorow pendant sa présentation

Dans la forme, les conférences et ateliers ne révolutionnent pas le genre : intervenants au micro, présentations powerpoint en arrière-plan, questions-réponses à la fin des sessions.

Une conférence à l’ambiance geek

Mais on ne vient pas seulement ici pour les conférences : ce qu’on vient vraiment chercher, c’est un esprit particulier, une ambiance, une philosophie . Les participants de PICNIC appartiennent tous à la même tribu : ils tweetent comme ils respirent, lisent Wired ou TechCrunch sur leur iPad, mangent bio et tâchent de maîtriser leur empreinte carbone en se déplaçant à vélo. Ils cultivent avec subtilité l’art du négligé : tee-shirt de collection, baskets impeccables, montre digitale vintage…

Dans la vie ils sont architectes, designers, consultants, ingénieurs, publicitaires, journalistes, multi-entrepreneurs ou autodidactes. En quelques années, ils ont fait passer la culture geek de l’ombre des salles de jeux en réseau à la lumière des magazines branchés. Les ethnologues ne leur ont pas encore donné de nom mais ils savent qu’ils forment une caste de privilégiés, libres d’échanger, de créer et d’expérimenter, de voyager, de travailler avec qui ils veulent, et même – luxe ultime – d’échouer. C’est ce qui les rend plus intéressants que sympathiques et c’est sans doute là la limite de PICNIC, son côté « à la Monocle » branché…

PICNIC est sans doute l’événement qui incarne le mieux cette culture émergente. Le grand lounge peuplé de végétaux, de meubles en carton, de guirlandes lumineuses et de yourtes mogholes (où Microsoft et son stand tout en bois vous donne l’impression que vous allez vous faire « avoir » comme quand Mc Donald passe son logo en vert), est au moins aussi important que les salles de conférence disposées tout autour. Amsterdam, phare européen de la création et d’une certaine forme de culture underground est l’écrin parfait de ce festival atypique. On parle, on échange des cartes de visite et on dîne autour de grandes tables. La rencontre est le maître-mot : pour créer ensemble le monde de demain mais aussi et surtout pour se retrouver entre semblables.

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Stéphane Distinguin était à PICNIC pour lancer le Street Challenge entre jeunes designers européens pour inventer la « rue de demain » : « Ce challenge est le premier élément du partenariat initié avec Futur en Seine dont la prochaine édition se tiendra du 17 au 26 juin 2011. Depuis l’édition de 2009, avec le pôle de compétitivité Cap Digital, la région Ile de France et la ville de Paris, nous avons pour ambition de fédérer les énergies et les projets pour créer un festival d’envergure internationale, à la fois populaire et pointu, la grande fête de la ville et de la vie numériques. Nous cherchons toujours de bonnes idées, des bras et des têtes, n’hésitez surtout pas à me contacter s @ faberNovel.com ou twitter.com/fano. »

Photos by Maurice Mikkers sur FlickR CC PICNIC Cross Media Week

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http://owni.fr/2010/09/26/picnic-de-geeks-a-amsterdam/feed/ 27
L’avenir m’effraie et m’excite http://owni.fr/2010/09/11/l%e2%80%99avenir-m%e2%80%99effraie-et-m%e2%80%99excite/ http://owni.fr/2010/09/11/l%e2%80%99avenir-m%e2%80%99effraie-et-m%e2%80%99excite/#comments Sat, 11 Sep 2010 15:55:37 +0000 Thierry Keller, Blaise Mao et Jérôme Ruskin (Usbek & Rica) http://owni.fr/?p=27893 A l’occasion de la sortie du dernier numéro d’Usbek & Rika, notre dossier s’enrichit d’un texte inédit coécrit par Thierry Keller (rédacteur en chef), Blaise Mao (rédacteur en chef adjoint) et Jérôme Ruskin (fondateur).


Tremblements

A ma « gauche », la peur. Ce sentiment terrible de vertige qui s’empare de moi quand il me prend l’envie masochiste de regarder le JT, d’ouvrir un journal ou tout simplement de marcher dans la rue les yeux grands ouverts. Peur de contracter la grippe A quand le quidam en face de moi éternue, peur de la refiler à mes enfants. Peur aussi de me faire vacciner, et de vraiment l’attraper, car on nous ment, le gouvernement a besoin de froussards comme moi pour écouler ses doses. Peur de rentrer chez moi par le dernier RER. Peur de traverser le quartier qui craint après 21 heures. Si je suis une femme, peur d’attirer le regard salace de la bande de racailles (avant, on disait loubards) qui squattent le hall. S’habiller en mec. Avoir l’air méchant.

N’ayez pas peur !

Jean-Paul II, Entrez dans l’espérance

Peur du déclassement. Peur des courriers officiels. Celui du DRH arrivé sur mon bureau ce matin : entretien préalable au licenciement. Celui de l’agence immobilière : loyers en retard. Mes parents, qui sont caution – à mon âge, quelle honte – vont décacheter la lettre d’huissiers. Peur du coup de fil anonyme de 9 heures du matin. « Bonjour, ici madame Lathune, du CIC. Dites, il y a un souci sur votre compte, un chèque se présente et je n’ai pas la provision ». Brûlure à l’estomac. Peur primale.

Peur de voyager. Et si l’avion n’arrivait jamais à destination ? Mon corps calciné dans l’Atlantique. Mon nom en italique dans « Le Parisien », ma concierge témoigne. Et si j’arrive à destination, qui me garantit que je ne finirai pas en mille morceaux dans une discothèque à Bali, un bus à impériale sur Picadilly Circus ? Broyé dans un tsunami. Attaqué par des pirates au large de la Somalie. Enlevé dans le sud algérien. Egorgé par des fous de Dieu quelque part au Moyen-Orient, ma mort sur Internet, 3 millions de pages vues.

Peur du collège de mon secteur. Seulement 65% de réussite au brevet des collèges. Arabe première langue. Ma fille qui devient gothique, adepte de la vodka-pomme et du jeu du foulard. Elle compile des images de sexe hardcore sur Youporn. Elle veut rester dormir chez son petit ami. Dormir ?

Peur de l’eau du robinet, bourrée de phosphates. Peur des conservateurs chimiques dans mes céréales du matin (il paraît qu’en Occident, les macchabés brûlent moins vite qu’en Inde, à cause de tous les conservateurs ingurgités durant une vie entière).

Peur du réchauffement climatique, de la fonte des glaces, Paris sous la flotte, la prophétie maya, le jour d’après, « La route » de Mac Carthy.

Ma vie n’est que peur. Et je ne suis pas parano. Tout ce qu’on dit est vrai.

Celui qui ne s’est pas libéré de ses liens du sang et du sol n’est pas encore complètement né en tant qu’être humain.

Erich Fromm, Société aliénée et société saine

Cheveux longs

A ma droite, la liberté. Mes pulsions de liberté. Je me laisse pousser les cheveux. La barbe aussi, c’est à la mode. A 45 ans, je suis beau comme un camion avec mes Converse toutes neuves et ma veste de treillis kaki. Je voyage. Je suis un citoyen du monde. Skype me connecte à ma petite sœur partie tenter sa chance en Nouvelle-Zélande. Sur Twitter, je me solidarise avec mes amis iraniens. J’étais à New York pour l’élection d’Obama. J’ai pleuré en écoutant Angela Merkel, sous la pluie, parler de « Freiheit », liberté, sur les vestiges du Mur. Je file à Berlin, 45 euros aller-retour avec Easy Jet. Assiste à la performance d’une artiste mi homme mi femme. M’envole pour Amsterdam. Nouveaux quartiers et coffy shop. Même fumer une cigarette au comptoir me paraît dingue. Alors choisir mon herbe sur le menu…

A mesure que diminue la liberté économique et politique, la liberté sexuelle a tendance à s’accroître en compensation.

Aldous Huxley, Le meilleur des mondes

Mon voisin du dessous est kabyle, son couscous est un délice, sa femme une apparition. Au-dessus, ma voisine parle hongrois et sait tout du Kama-Sutra. Elle ne veut pas se marier ou alors pour de faux. Avec elle, je découvre les trésors cachés de la musique yiddish, sur Internet en libre accès. Elle m’écrit un mail cochon dans sa langue. Google me traduit sa prose en un millième de seconde. Proposition de partie fine. Mes parents ont fait 68 mais votent Sarkozy. S’ils me voyaient ! Je prends des rides et du bide. La peur de la mort, c’est pour les autres. Avec un peu de chance je vivrai jusqu’à 150 ans. Vivre si vieux, ce n’est pas comme mourir. Cellules souches, thérapie génique, opération au laser. Si ça se trouve, j’appartiens à la première génération post-humaine. Je suis Néo dans Matrix. Déjà, avec mes copains, j’expérimente la réalité augmentée. Façon « Existenz », de Cronenberg. Ma ville empeste les gaz d’échappement. Tant mieux, la fin du pétrole est pour demain. Au lieu d’une Clio qui pue, j’aurai une Clio électrique. En attendant, vacances en Bretagne ; je loue une coquille de noix à un pêcheur pour trois fois rien.

Homme libre, toujours tu chériras la mer.

Le monde tout entier aspire à la liberté, et pourtant chaque créature est amoureuse de ses chaînes. Tel est le premier paradoxe et le noeud inextricable de notre nature

Shrî Aurobindo, Aperçus et pensées

L’homme écartelé

Qui suis-je ? L’Homme de la peur ou celui de la Liberté ? Ni l’un ni l’autre. Je suis les deux. Schizophrène, j’erre dans la modernité en jouant aux apprentis sorciers avec mon identité, ma vision du monde, comme on disait dans le temps. Weltanschaung. Je pioche ici et là. Mais que me reste-t-il ? Tous les « ismes » ont failli. Marx et Freud ont chacun leur « livre noir ». Je veux être libre mais je suis tenaillé par la peur.

L’avenir m’effraie et m’excite.

On le sent, on le voit, on le pense : individus et sociétés sont tiraillés. La « foire à tout » du sens est un capharnaüm géant, où chaque prophète devant son étal rivalise avec son voisin pour attirer le chaland orphelin des idéologies globales du siècle dernier. Les uns hurlent : viens dans ma secte, engage toi, vote pour moi, marie-toi, procrée, sois propre, n’aie rien à te reprocher, arrête de fumer, mange cinq fruits et légumes – bio – par jour, fais du sport, élève le mur qui te protège. « Revêtons nos préjugés car ils nous tiennent chaud », disait Barrès, philosophe de la contre révolution qui donne encore son nom à une avenue à Neuilly (tiens tiens). Axiome d’autant plus percutant quand la fin du monde est pour demain. Les millénaristes se lèchent les babines, ringardisant un Le Pen qui avait pourtant bien vu le coup venir.

Les autres disent : apprends, aime, aide, crée ! D’accord, mais ce n’est pas si facile. La liberté, ce truc de riches…

Comment ne pas être écartelé ? Comment organiser la concorde entre le Doctor Jekyll et le Mister Hyde qui se font la guerre dans nos âmes ?

Le courage consiste à dominer sa peur, non pas à ne pas avoir peur

François Mitterrand, Mémoire à deux voix

Les réponses clés en main, c’était le monde d’hier. Alors comment faire ? Parce qu’il va bien falloir le trouver, ce chemin vers la liberté. « Difficile liberté », écrivait Lévinas. Il va bien falloir les vaincre, ces peurs superstitieuses, d’un autre âge, celles que moquaient avec acidité le Voltaire militant de L’Affaire Calas, le Montesquieu de L’Esprit des Lois, et tous les autres amoureux de la liberté, Kant, Fromm, Hugo, Camus. Pas d’humanité sans liberté. Pas de liberté sans responsabilité. S’émanciper de sa condition animale. Briser ses chaînes. Apprendre à vivre sans Dieu. Dominer sa peur. Se dominer soi-même, donc. Donner tort à La Boétie, philosophe de la « servitude volontaire » : « La seule liberté, les hommes ne la désirent point. ». Et s’il était temps de la désirer ?

Thierry Keller, Blaise Mao et Jérôme Ruskin, de la revue Usbek & Rica

Crédits Photo: “The Future”, CC FlickR, par h.koppdelaney


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Le web, mort?|| Autant se demander si le papier l’est aussi! http://owni.fr/2010/08/03/le-web-mort-autant-se-demander-si-le-papier-lest-aussi/ http://owni.fr/2010/08/03/le-web-mort-autant-se-demander-si-le-papier-lest-aussi/#comments Tue, 03 Aug 2010 12:51:19 +0000 Benoit Raphaël http://owni.fr/?p=23745 La question est lancée par un blog américain qui se demande si Chris Anderson, le patron de Wired, n’a pas l’intention d’en faire la prochaine couverture de son magazine. “The Web is Dead” expliquerait que l’arrivée des mobiles et de l’iPad auraient sonné le glas de cet ancien monde que serait devenu le WWW.

Chris Anderson fait partie des visionnaires de notre temps, il est le premier à avoir parlé de la “longue traine” (“The Long Tail“). Il est également l’auteur de “Free”, qui explique que nous sommes entrés dans l’économie du gratuit. Il est possible qu’il n’ait pas écrit d’article prônant la mort du web, mais le simple fait qu’on se demande s’il ne serait pas en train d’y penser, est révélateur des interrogations du moment sur l’avenir de l’Internet.

Et donc, notamment, des prochains investissements des médias.

L’évolution du marché mobile est sans équivoque. 92% de pénétration de la 3G en 2014 en Europe de l’Ouest (selon Morgan Stanley), multiplié par 4 selon Forrester qui prévoit une pénétration de l’Internet mobile de 41% (67% en 2009 pour l’Internet via un ordinateur).

Nous allons clairement vers la mobilité qui, sur le marché dominant des iPhones et des smartphones Android, se manifeste par une tendance à utiliser l’Internet via les applications, au détriment du web (du navigateur web).

Pour autant, la messe est-elle dite ?

Voici quelques pistes.

1) Tablettes: le retour du web

L’arrivée de l’iPad, qui réconcilie l’ordinateur avec la mobilité, continue de dynamiser le marché des applications. Mais il sonne également le retour du web. L’iPad est un excellent navigateur. Et bon nombre d’applications devenues indispensables sur iPhone en raison des limitations ergonomiques de son navigateur (liées au petit écran), ne le sont plus sur l’iPad. Les médias devraient donc réfléchir à deux fois avant de délaisser le web pour se ruer sur les apps.

Par contre il faudra s’adapter aux écrans, et aux usages de navigation sur tablette tactile.

2) Le média personnel

Sur les tablettes, la bataille sera aussi celle des applications d’agrégation: l’ère des médias personnels, comme Pulse, Appolo, Flipboard ou The Early Edition, qui s’adapte à vos usages de lecture et à votre réseau social pour proposer une information de proximité et personnalisée, agrégeant plusieurs sources. Et qui vous accompagne où que vous soyez.

3) La continuité des écrans

La question n’est finalement pas de savoir s’il faut investir dans une application ou dans un site web. Mais d’être capable d’organiser un média en un flux organisé qui accompagne l’utilisateur partout où il se trouve. Et sans rupture.

C’est le principal enjeu de ces prochaines années. L’avenir est aux médias capables de structurer leurs données, mais aussi l’interactivité entre les utilisateurs et leurs données. Aux médias capable de faire vivre leurs données sur les différents espaces de navigation (mobile, application mobile, les navigateurs des tablettes, des ordinateurs, mais aussi sur Facebook…). C’est à dire faire interagir données et utilisateurs sur un réseau qui sera de plus en plus indépendants de ses supports.

A voir, à ce propos, la conférence de Vin Cerf, l’inventeur de l’Internet, qui partage sa vision du futur. Il imagine une “connectivité omniprésente, qui augmenterait notre rapport sensoriel avec le monde réel”.

4) La disparition des supports

Car l’avenir réside bien dans cette connectivité permanente. Dans l’utilisation du réseau et de la technologie pour nous aider à interagir avec le réel. Ce qui nous amène peu à peu à faire disparaître les interfaces technologiques pour retrouver une interaction naturelle et intuitive avec les données réelles ou virtuelles.

La Wii de Nintendo, mais aussi le projet Natal (Kinect) de Microsoft, font peu à peu disparaître les manettes de jeu au profit de la reconnaissance gestuelle, via différents capteurs. Suivant la même tendance, l’iPhone efface la complexité de l’interface et nous fait retrouver des gestes qu’un enfant adopte intuitivement: tourner des pages, interagir avec notre environnement réel grâce à la réalité augmentée.

Si vous n’êtes pas convaincus par la disparition des interfaces, je vous invite à visionner cette démonstration incroyable d’un ingénieur indien, Pranav Mistry, diplomé du MIT: sa technologie (“SixthSense”) permet de faire disparaître l’outil ordinateur ou téléphone, pour permettre à l’utilisateur d’interagir avec les données partout où il se trouve.

L’avenir est donc bien à la structuration des données dans un univers de connectivité permanente qui s’affranchit des outils, pas à la guerre des supports. Le web est mort ? Peut-être. Le téléphone mobile ? Sans doute dans dix ou quinze ans. Peu importe.

Le web est mort ? Autant se demander si le papier est mort…

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Billet initialement publié sur la Social NewsRoom de Benoît Raphaël.

Crédits Photo CC : Greg MarshallElliot Lepers, Martin U.

(Illustration : Chris Anderson par Robert Shaer)

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Bienvenue dans la newsroom des géants du web http://owni.fr/2010/06/07/bienvenue-dans-la-newsroom-des-geants-du-web/ http://owni.fr/2010/06/07/bienvenue-dans-la-newsroom-des-geants-du-web/#comments Mon, 07 Jun 2010 15:13:33 +0000 JCFeraud http://owni.fr/?p=17651

Ton vaisseau-mère Gutenberg a fait naufrage ou divague déboussolé en attendant le coup de grâce final du grand orage digital ? Viens à moi pauvre petit journaliste perdu dans l’immensité du cyberspace comme un astronaute bientôt à court d’oxygène…

C’est ce que j’ai cru entendre ce week-end, lorsqu’au hasard de mes divagations sur le Web, je suis tombé sur plusieurs indices informationnels laissant à penser que les Titans de l’ère numérique seront bientôt les seuls employeurs à bien vouloir recruter et payer des journalistes pour pisser de la copie sur tous les écrans de notre vie. Mon rédac chef s’appelle Yahoo! ou AOL… ce n’est plus de la Science-Fiction. C’est déjà demain !

Yahoo! en pince pour les blogs du HuffPo

Voyez ce papier de TechCrunch, le site d’info biztech du toujours bien informé Michael Arrington. Le truc dit en substance que Yahoo! veut croquer tout rond le gentil Huffington Post dont je vous parlais dans mon précédent billet. Pour moi le HuffPo était censé montrer la voie à la vieille presse : marier le meilleur des blogs à de l’info sérieuse (avec un zeste de people et de sexe) pour proposer le tout gratuitement aux internautes avides de scoops et d’humeur… on avait enfin trouvé la recette miracle pour exploser les chiffres d’audience et obliger ces radins d’annonceurs à sortir enfin leur chéquier !

De fait ce site fondé il y a tout juste cinq ans cartonne aujourd’hui au point de talonner la version online du prestigieux “New-York Times” avec 13 millions de visiteurs uniques aux US et 22 millions au niveau mondial. Sa trajectoire semblait toute tracée : l’enthousiaste Henry Blodget de Business Insider voyant même le Huffington Post rivaliser un jour en toute indépendance avec CNN !

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Et Patatra voilà que TechCrunch assure que Yahoo ! et Ariana Huffington la taulière du HuffPo en sont à parler gros sous : le site d’info le plus “trendy” du moment serait valorisé entre 125…et 360 millions de dollars sur la base de son chiffre d’affaires qui double tous les ans (30 millions cette année, 60 millions prévus pour l’an prochain).

Bien plus en tout cas que ce que vaut un vieux journal papier comme “Le Monde”. Tout prestigieux soit-il, le grand quotidien du soir s’apprête à se vendre pour à peine 60 à 80 millions d’euros à l’étrange attelage constitué par le “mécène” Pierre Bergé, le banquier “rock’n roll” Mathieu Pigasse et le fondateur de Free “il à tout compris” Xavier Niel. A moins que ce soit à Claude “SFA” Perdriel, le patron du “Nouvel Obs”…mais c’est une autre histoire.

Agrégateur plus que producteur

Revenons à nos géants du Net en plein trip Citizen Kane. Yahoo!, qui en pince aujourd’hui pour les blogs du HuffPo, a une longue expérience en matière d’agrégation de contenus: le portail a toujours proposé à ses visiteurs de l’info (actualités générales, sports, entertainment…) grâce à des partenariats avec des agences de presse et des journaux. Et il n’en est pas à son coup d’essai en matière d’incursion journalistique : en 2003, Yahoo ! avait même envoyé quelques reporters “embedded” couvrir l’invasion de l’Irak, la chute de Saddam et la traque aux armes de destruction massive qui n’existaient pas.

Mais à l’époque la chute des icônes high-tech à Wall Street avait mis fin à l’expérience. Aujourd’hui, le groupe californien semble donc tenté de constituer autour de lui un petit empire de médias susceptible de lui fournir de l’info prête à consommer.

Mais il pourrait miser plus sur le journalisme participatif que sur les professionnels de la profession: Yahoo! a racheté pour 100 millions de dollars Associated Content, un agrégateur de news syndiquant des milliers contributeurs non professionnels qui écrivent des articles, prennent des photos, proposent des contenus vidéos…

Selon TechCrunch, le groupe de Carol Bartz est bel et bien décidé à satisfaire lui-même ses énormes besoins en contenus. Reste à savoir si Yahoo! France suivra demain sa maison-mère dans cette stratégie médiatique. Pour l’heure, cela ne semble pas à l’ordre du jour.

AOL construit son usine à produire de l’info

Yahoo! n’est pas la seule firme Internet à vouloir devenir auto-suffisante en infos. Fraîchement divorcé du géant américain des médias Time Warner, le concurrent AOL a carrément entrepris d’embaucher une armée de journalistes dans le cadre de son programme Seed : 500 rédacteurs salariés travaillent d’ores et déjà pour la compagnie dirigée par Tim Amstrong (sur la photo, il est en cravate:  regardez comme il est content).

AOL employerait par ailleurs près de 3500 journalistes à la pige. Pas besoin d’aller chercher loin pour recruter : aux Etats-Unis, 10.000 journalistes se sont retrouvés au chômage entre 2007 et 2009… AOL alignerait donc au total 4000 plumitifs, soit le nombre de salariés actuellement employés par le “New-York Times” et le “Herald tribune” réunis. Tout ce joli monde écrit de la news à la chaine pour alimenter les 80 sites thématiques (actualité, finance, automobile, loisirs, famille, culture etc…) agrégés par AOL pour 30 à 300 dollars le feuillet en fonction du statut (petite main ou grande signature). Avec un seul mot d’ordre : “satisfaire la curiosité des internautes”. Mais AOL France, qui a licencié la plupart de ses salariés et ressemble de plus en plus à un agrégateur fantôme, n’a aucun projet en ce sens chez nous.

Tim Amstrong définit Seed comme une “content powerhouse”, autrement dit une “usine à contenus”. Ça a le mérite d’être clair. Et la firme internet basée à Dulles près de Washington fait elle aussi son marché. AOL a récemment racheté le site de news “hyperlocales” Patch pour 50 millions de dollars. L’info de proximité et les petites annonces qui vont avec sont furieusement tendance ces temps-ci. Et puis aussi StudioNow qui produit des contenus vidéo…

Google engrange : pourquoi s’emmerder avec des journalistes ?

En revanche, Google, qui a plutôt mauvaise presse en ce moment dans la profession, n’envisage toujours pas, à ce jour, de devenir un producteur de news. Un cadre dirigeant de la filiale française me l’a encore redit l’autre jour.

“Pourquoi s’emmerder avec des journalistes fort en gueule ou geignards quand on se fait des “golden balls” sans bouger le petit doigt ?”.

Bon c’est sûr c’était plutôt formulé comme ça :

“Notre mission, c’est d’organiser le monde de l’information pour les internautes et non de produire de l’information”.

Mais l’idée était là. Au tournant des années 2000, la plupart des journaux ont naïvement abandonné leurs contenus à Google News en pensant bâtir un business-modèle internet viable à partir de l’audience que leur apportait le “gentil” géant de l’internet.

On connaît la suite de l’histoire : l’idée que l’info était gratuite sur le web s’est installée dans l’esprit des internautes et la presse n’a jamais vu la couleur du grisbi qu’elle attendait de la publicité en ligne. La pub ? Elle a fait la fortune de Google qui a engrangé l’an dernier près de 25 milliards de dollars de chiffre d’affaires : le géant de Mountain View truste aujourd’hui 90 % du marché des liens sponsorisés, quand les bannières des sites de journaux sont achetées par les annonceurs à un coût pour mille d’usurier.

... mais pour combien de temps?

Et Rupert Murdoch a beau traiter Google de “vampire” et menacer de lui interdire de référencer ses journaux (entre autres le “Wall Street Journal” et le “Times” de Londres) pour aller dealer avec Microsoft et son moteur Bing…il ne l’a toujours pas fait six mois après ses déclarations va-t-en guerre.

Alors pourquoi changer une formule gagnante : je pompe ton info gratos, je fais mon beurre dessus tout en faisant mine de t’offrir des “solutions” pour monétiser tes contenus. Début avril, le boss de Google Eric Schmidt se disait encore “confiant” sur la manière dont les journaux allaient “se sauver par eux-mêmes” en utilisant les fantastiques possibilités du web. Sacré farceur ! Il faut voir comment la culture internet a du mal à pénétrer les vieilles rédactions papier et le peu d’enthousiasme des lecteurs à payer pour lire des articles auxquels ils avaient jusque-là accès gratuitement…Et ce n’est pas l’iPad d’Apple qui devrait changer la donne d’un coup de sainte tablette magique.

Gaffe la source des news fraîches se tarit

Mais contrairement à Google, d’autres grands dévoreurs de “contenus” gratuits comme Yahoo!, AOL et quelques autres (Microsoft bientôt ? Après tout le géant du logiciel a bien lancé Slate.com dans les années 90 avant de le revendre en 2004) ont bien compris qu’à force de saper l’économie sub-claquante des journaux de l’ère Gutenberg, ils risquaient bien de tarir la source où ils viennent siphonner de la “news” fraîche ! Car au train où vont les choses, il n’y aura bientôt (dans 3 ans ? 5 ans ?) plus de grands quotidiens ni de bons journalistes en état de produire de l’actualité “à l’ancienne”. Or le consommateur, tout comme la nature, a horreur des rayonnages vides, surtout dans l’univers informationnel en perpétuelle expansion du cyberspace…

Les géants de l’Internet se mettant à produire de l’info pour leur propre compte, on en parlait déjà il y a dix ans. Mais quand la bulle a éclaté, la plupart des stars du Web ont enterré l’idée de faire du journalisme maison au fond d’un serveur et on n’en a plus parlé. Aujourd’hui elle revient en force vu l’état de décomposition avancé dans lequel se retrouve la vieille presse. Histoire centenaire ou non, des centaines de journaux à travers le monde ont du stopper leurs antiques rotatives ces deux ou trois dernières années, envoyant pointer au chômage des milliers de journalistes… ceux là même qui rêvent aujourd’hui de se faire embaucher par Yahoo! ou AOL !

Pour eux tout n’est pas perdu si la réponse est négative. Car voilà que nos amis communicants se mettent eux aussi en tête d’ “embedder” des journalistes. Prenez ce récent papier de “The Independent” qui révélait la récente embauche de l’ancien patron de BBC News Richard Sambrook par le cabinet de relations publiques américain Edelman…Le titre de la nouvelle recrue est très parlant : “Chief content officer”. Sa mission : produire des messages Canada Dry qui puissent passer aux yeux du public pour de la bonne information millésimée !

“Le nouveau mantra c’est que chaque entreprise doit devenir un media de son propre chef, raconter ses propres histoires non plus à travers de simples sites Internet, mais via des contenus vidéos, du divertissement, sur l’iPad et les téléphones mobiles”,

expliquait récemment ce cher Mister Sambrook avec l’enthousiasme des nouveaux convertis ! C’est ce qui s’appelle passer du côté obscur de la force… Et vous chers confrères, seriez-vous prêts à vous servir de ce que vous avez appris dans la grande presse, à renier tout ce à quoi vous avez cru pendant des années (Tintin, Albert Londres, Hunter Thompson…), à enterrer vos rêves de gosse en treillis de grand reporter pour aller vous vendre à la première agence de pub venue ?

Conseil d’ami aux confrères

Well, et bien à choisir, si je pointais au chômage (évitons, il fait vraiment froid dehors même si c’est bientôt l’été), je préférerais peut-être aller bosser pour Yahoo ! et AOL… Après tout les journaux sont déjà devenus “des entreprises comme les autres” (argh c’est un fait).

Alors quitte à bosser pour une entreprise, autant choisir un secteur d’avenir : l’Internet of course. C’est là qu’on recrutera demain ceux qui ne savent rien faire d’autre que raconter l’histoire au jour le jour. Et tant pis si l’on y perd au passage ses sept semaines de vacances, ses RTT, sa carte de presse, la réduction d’impôts et l’entrée libre dans les musées qui vont avec…Quand à se faire des “golden balls”, il ne faut pas trop en demander quand même.

La bulle Internet c’était il y a dix ans déjà. Les salaires de misère actuellement pratiqués dans les rédactions Web sembleront donc tout à fait indiqués à vos futurs employeurs. Alors conseil d’ami : si vous êtes journaliste en poste dans un “vrai” journal, estimez vous heureux d’avoir encore un boulot par les temps qui courent et essayez de le garder le plus longtemps possible avant d’aller toquer à la porte de nos amis Yahoo ! et AOL. Sans parler de celle des communiquants.

Illustrations CC Flickr > Thomas Hawk, RogueSun Media , Somewhat Frank, sonicbloom

Article initialement publié sur Sur Mon Écran Radar

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La mort du Web ouvert http://owni.fr/2010/06/05/la-mort-du-web-ouvert/ http://owni.fr/2010/06/05/la-mort-du-web-ouvert/#comments Fri, 04 Jun 2010 23:23:19 +0000 Virginia Heffernan (trad. Framalang) http://owni.fr/?p=17537 Nous ne sommes pas les seuls à traduire des articles fondamentaux pour aider à la compréhension des évolutions, principes et enjeux d’Internet. Le projet Framalang du réseau Framasoft regroupe des passionnés qui traduisent les articles qu’ils estiment essentiels. Cet article du New-York Times qui prédit la mort du web tel que nous le connaissons en fait partie.

Le Web est une gigantesque et foisonnante zone commerciale. Son organisation est anarchique, ses espaces publics sont assaillis par la foule et les indices de friche industrielle se multiplient avec ses liens morts et ses projets à l’abandon. Les spams et les logiciels malveillants ont rendu insalubres et invivables des secteurs entiers. Les petits dealers et ceux qui vous harcèlent traînent dans les allées. Une population de racaille excitée et polyglotte semble régner sur les principaux sites.

Les gens qui ne trouvent pas le Web à leur goût – trop affreusement barbare – sont pourtant bien obligés d’y vivre : c’est là qu’on peut chercher du travail, des ressources, des services, une vie sociale, un avenir. Mais maintenant, avec l’achat d’un iPhone ou d’un iPad, il existe une solution, une banlieue résidentielle bien tenue qui vous permet de goûter aux possibilités offertes par le Web sans avoir à vous frotter à la populace. Cette banlieue chic est délimitée par les applications de l’étincelant App Store : de jolies demeures proprettes, à bonne distance du centre Web, sur les hauteurs immaculées de la Résidence Apple. À travers l’exode vers des applications coûteuses et d’accès réservé de ceux qui protestent contre le Web « ouvert », nous sommes témoins de la décentralisation urbaine vers des banlieues résidentielles, un équivalent en ligne de la fuite des Blancs (NdT : White flight : désigne l’exode des populations blanches – souvent les plus aisées aux Etats-Unis – de plus en plus loin du centre-ville, à mesure que s’y installent les classes inférieures, souvent composées de minorités).

Il existe une similitude frappante entre ce qui s’est passé pour des villes comme Chicago, Detroit et New York au 20ème siècle et ce qui se produit aujourd’hui pour l’Internet depuis l’introduction de l’App Store. Comme les grandes métropoles américaines modernes, le Web a été fondé à parts égales par des opportunistes et des idéalistes. Au fil du temps, tout le monde s’est fait un nid sur le Web : les étudiants, les nerds, les sales types, les hors-la-loi, les rebelles, nos mamans, les fans, les grenouilles de bénitier, les amis des bons jours, les entrepreneurs à la petite semaine, les starlettes, les retraités, les présidents et les entreprises prédatrices. Un consensus se dégage pour affirmer que le Web est entré dans une spirale dangereuse et qu’il faudrait y remédier, Mais assez bizarrement il existait peu de quartiers réservés en ligne – comme celui que Facebook prétend incarner (mais sans vraiment le faire).

Mais une sorte de ségrégation virtuelle est désormais à l’œuvre. Webtropolis est en train de se stratifier. Même si, comme la plupart des gens, vous surfez encore sur le Web à partir d’un poste de travail ou d’un portable, vous avez sans doute remarqué les pages à péage, les clubs réservés aux membres, les programmes d’abonnement, les paramètres pour les données privées, et tous ces systèmes qui créent différents niveaux d’accès. Ces espaces nous donnent l’impression d’être « à l’abri » – pas seulement à l’abri des virus, de l’instabilité, des sons et lumières indésirables, du porno non sollicité, des liens sponsorisés, et des fenêtres publicitaires intrusives ; ils nous préservent aussi des interfaces sommaires, des commentateurs fâcheux et anonymes, ainsi que des opinions et des images excentriques qui font du Web un lieu perpétuellement étonnant, stimulant et instructif.

Quand une barrière est érigée, l’espace dont l’accès devient payant se doit, pour justifier le prix, d’être plus agréable que les espaces gratuits. Les développeurs appellent ça « une meilleure expérience utilisateur ». Derrière les accès payants, comme sur Honolulu Civil Beat, le nouveau projet du fondateur d’eBay, Pierre Omidyar, ou sur le Times de Londres de Ruppert Murdoch, la valeur ajoutée monte en flèche. De sympathiques logiciels accueillent ces Messieurs-Dames qui ont payé ; on leur fournit les services d’un majordome, et d’autres avantages. Les plateformes Web avec entrée payante ressemblent plus à une boutique qu’à un bazar.

Ce qui tout aussi remarquable, si ce n’est plus, c’est que de nombreuses personnes sont en train de quitter totalement le Web ouvert. C’est ce que les 50 millions d’utilisateurs de l’iPhone et de l’iPad s’apprêtent à faire. En choisissant des machines qui ne prennent vie que lorsqu’elles sont affublées d’applications de l’App Store, les utilisateurs d’appareils mobiles Apple s’engagent dans une relation plus distante et inévitablement plus conflictuelle avec le Web. Apple examine de près chaque application, et prend 30% des ventes ; le contenu gratuit et l’énergie du Web ne correspondent pas aux standards raffinés de l’App Store. Par exemple, l’application « Chaîne météo Max », qui transforme la météo en film interactif palpitant, offre une meilleure expérience en matière de climat que météo.com, qui ressemble à un manuel encombré et barbant : espaces blancs, listes à puces tarabiscotées, et images miniatures.

« L’app Store est sûrement l’une des plateformes logicielles les plus attentivement surveillées de l’histoire »

, écrit dans le Times le chroniqueur technologies Steven Johnson. Pourquoi cette surveillance ? Pour préserver la séparation entre l’App Store et le Web ouvert, bien sûr, et pour accroître l’impression de valeur des offres qu’il propose. Car au final, tout est affaire d’impression : beaucoup d’apps sont au Web ce que l’eau en bouteille est à l’eau du robinet : une manière nouvelle et inventive de décanter, conditionner et tarifer quelque chose qu’on pouvait avoir gratuitement auparavant.

Les apps étincellent tels des saphirs et des émeraudes, pour ceux qui sont blasés par l’aspect camelote de sites géants comme Yahoo, Google, Craiglist, eBay, YouTube et PayPal. Cette étincelle vaut de l’argent. Même pour le moins snob, il y a quelque chose de rafraîchissant à être délivré de la barre d’adresse, des pubs, des liens et des invitations pressantes – qui nous rappellent en permanence que le Web est une mégalopole surpeuplée et souvent affolante dans laquelle vous n’êtes qu’un passant parmi d’autres. Avoir l’assurance que vous ne serez ni bousculé ni assailli ni agressé – c’est précieux également.

Je comprends pourquoi les gens ont fui les villes, et je comprends pourquoi ils fuient le Web ouvert. Mais je pense que nous pourrions bien le regretter un jour.

> Article original paru dans le New-York Times, traduction Framalang

> Illustration CC Flickr par robokow

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http://owni.fr/2010/06/05/la-mort-du-web-ouvert/feed/ 10
Journaux: comment se débarrasser d’Internet http://owni.fr/2010/05/18/remettre-le-genie-dans-la-bouteille/ http://owni.fr/2010/05/18/remettre-le-genie-dans-la-bouteille/#comments Tue, 18 May 2010 14:13:22 +0000 Eric Scherer http://owni.fr/?p=15944 Dans l’agenda des médias traditionnels, deux phénomènes synchrones convergent cette année pour tenter de faire rentrer le génie Internet dans la bouteille : l’érection de nouveaux murs payants en ligne et l’arrivée des tablettes, iPad en tête.

Deux phénomènes, qui remettent de la structure dans des contenus fragmentés, redonnent du contrôle aux éditeurs sur l’accès, et nourrissent leur espoir de mettre fin au tout gratuit numérique.

Pour ces médias traditionnels, qui n’en finissent pas d’être chamboulés par la révolution de l’information, les nouveaux usages et la crise économique, l’idée est de tenter de retrouver une marge de manoeuvre, un ballon d’oxygène, pour leurs modèles économiques à bout de souffle, qui ne parviennent plus à financer les contenus capables de capter l’attention du public du 21ème siècle.

Dans le même temps se mettent en place les infrastructures mondiales, pour des connexions de masse, qui accroissent le volume d’informations, accélèrent leur vitesse de circulation et réduisent leur durée de vie dans un web de plus en plus social, personnalisé et instantané, et où les gens passent de plus en plus de temps, chez eux ou en déplacement.

La progression de cette toile de fond, qu’est l’Internet, n’est pas linéaire, mais bien exponentielle, même si le web s’est désormais fracturé, sous l’influence d’Apple, voire d’Amazon, avec leurs nouveaux univers d’applications.

Comment rester pertinent ?

Dans un monde numérique de flux, d’échanges permanents et nomades, de médias fragmentés, où les vieux modèles déclinent, et où l’information n’a jamais été aussi abondante, le défi est de retrouver une fonction de filtre pertinent grâce aux nouveaux outils numériques, pour délivrer l’information dont a besoin le public, là où il le souhaite et quand il le désire. Il est aussi de l’aider à trouver le signal dans le bruit, car les méthodes de découverte changent vite : recommandations, réseaux sociaux, agrégateurs, géo-localisation, listes ….

Qu’on le veuille ou non, bien souvent, la qualité d’accès à l’offre, l’expérience utilisateur, l’ubiquité, et donc la force du service, primeront sur le contenu. Bientôt, l’information sera délivrée en fonction du lieu où nous serons, ou sera directement reliées aux discussions que nous aurons avec nos amis.

Le défi, c’est aussi pour les journalistes, au magistère déclinant, d’accepter de perdre un peu d’autorité et de contrôle, pour être davantage en prise avec l’audience, car l’information voyagera désormais, avec ou sans eux. Il n’y a pas de pénurie d’informations et de contenus, bien au contraire, mais un manque de temps, et donc un besoin de plus en plus urgent d’un filtrage de qualité.

C’est enfin pour les dirigeants de média d’accepter que le web devienne un débouché essentiel, où il n’est pas question de repasser les plats : à eux de trouver les contenus et services différents, qui ne soient pas facilement copiables.

A ces conditions, le public continuera de payer comme il l’a toujours fait. C’est-à-dire pour l’accès à des contenus et des services, qui incluront de l’information de qualité, sélectionnée, disponible partout immédiatement et consommée de plus en plus en mobilité.

Crise systémique

Dans cette crise systémique, des médias traditionnels, figés dans les vieux moules du passé, meurent aujourd’hui, alors que nous souffrons de… Boulimie d’informations. Tout simplement parce que les nouveaux offrent des contenus et des services que les anciens ne fournissaient pas, à des coûts beaucoup plus bas, et avec beaucoup plus de flexibilité.

Les anciens demeurent sur la défensive et ont toujours beaucoup de mal à s’ajuster à ce nouveau monde, où les vieux modèles se désagrègent plus vite que n’émergent les nouveaux.

Combien de ce qu’ils ont perdu dans la crise arriveront-ils à récupérer? Auront-ils le temps de s’adapter alors que les pressions pour réduire les coûts restent très fortes et que la rigueur risque de couper l’élan de la reprise? Quel est l’avenir des unités éditoriales en ligne qui poussent un peu partout?

Pour la presse des pays riches, tout, ou presque, continue d’être orienté à la baisse : le nombre de pages, la diffusion, l’intérêt des annonceurs, les revenus publicitaires, les effectifs. A eux seuls, les magazines américains ont vu s’envoler le quart de leurs pages de publicité l’an dernier.

Chiffres dantesques : -10 milliards $ en un an !

Aux Etats-Unis, pour la presse quotidienne, la publicité, qui assure 80% des revenus des journaux, 2009 fut la pire année en près de 50 ans, avec des chiffres dantesques : le manque à gagner se monte à 10 milliards de dollars par rapport à 2008, déjà désastreuse. L’an dernier, sur le papier elle a encore chuté de 28%, sur le web de 12%, et les petites annonces, dont plus des deux tiers ont disparu depuis 2000, se sont de nouveau évaporées, au rythme de près de 40% en 2009.

L’accélération de la débâcle, qui s’était précipitée en 2008, semble un peu ralentir en ce début 2010. Les patrons de presse évoquent quelques bonnes périodes, puis, souvent hélas, de nouveau des trous noirs. La crise publicitaire est aussi structurelle. Côté papier, il n’y a plus grand chose à réduire: les coûts d’impression et de distribution ne baissent plus et les rédactions ont souvent fondu d’un tiers.

Ils avouent aussi avoir de plus en plus de mal à mettre en oeuvre cette migration vers le numérique, qui, d’une année sur l’autre, n’avance guère finalement. Même Microsoft perd des centaines de millions de dollars sur le web ! Car aujourd’hui, les meilleures places du nouvel écosystème média sont occupées par l’audience, les agrégateurs, les moteurs de recherche et les distributeurs ; non par les producteurs de contenus.

Révolution en marche : les insurgés ont pris les armes ! Le combat est inégal !

Quinze après l’arrivée du web grand public et la prise de conscience progressive de la démocratisation de l’écriture, tout le monde est aujourd’hui devenu un média. La quasi-suppression des barrières à l’entrée pour la publication et la distribution de contenus, a conduit agents politiques, économiques, sociaux, associatifs, culturels, humanitaires, religieux, sportifs, collectifs ou individuels, à prendre directement la parole, et donc à court-circuiter les corps intermédiaires, les médiateurs.

Comme d’autres grandes institutions du 20ème siècle, les médias ont beaucoup de mal à se réinventer. Comme à la Renaissance, une grande période de questionnements remplace une période de révérence.

Ce monde a changé : le réseau Internet englobe des parties de plus en plus significatives de nos activités et de nos vies! Nos vies personnelles et professionnelles passent moins par le papier que par l’écran.

La technologie aussi s’est démocratisée. L’infrastructure pour des connexions massives et en mobilité est en place. Le quart de la population mondiale est interconnecté par un réseau sans tête. L’ordinateur portable est passé devant le fixe. Des milliards de gens sont équipés de téléphones portables. Le mobile ne sert plus à téléphoner: l’échange de données y dépasse le transport de la voix.

L’Internet est sur soi, et plus seulement chez soi. L’internet mobile va dépasser l’Internet fixe. Son adoption par la population est huit fois plus rapide que pour le web. Tout ce que nous faisions à la maison ou au bureau, nous le faisons désormais en déplacement. Dans la rue, les gens ne parlent plus seulement tout seul, mais marchent, penchés en avant, le regard sur leurs écrans d’iPhone ou de Blackberry. Dans les cafés, les laptops sont ouverts, et bientôt les tablettes vont fleurir. La vidéo est consommée partout, via les smart phones et bientôt les lecteurs ebook.

Les DVD sont obsolètes, les CD jetés par les ados, à peine téléchargés, même les fichiers numériques vieillissent face au streaming. Un téléphone portable n’est plus d’ailleurs un simple appareil mais leur alter ego, une extension de leur personnalité, doté d’une bien meilleure mémoire ! Google a presque maîtrisé la traduction simultanée des conversations. La 3D arrive dans nos télévisions connectées au web, et bientôt dans nos mobiles…

Le multi-tasking, n’est plus une exception, mais devient la norme: l’accès à l’information, au savoir, voire à la culture est non seulement instantané, mais souvent réalisé en toile de fond d’une autre activité.

L’information est de plus en plus délivrée en flux, en courants, au fil de l’eau. Elle est stockée non plus dans nos disques durs ou nos serveurs, mais dans les “nuages“. L’extraordinaire succès des applications (à la iPhone) donne aussi un coup de vieux aux navigateurs, voire aux sites web eux-mêmes.

De plus en plus d’appareils différents sont utilisés par une même personne, pas nécessairement techno-béate ! Chaque mois, ou presque surgit une nouvelle rupture technologique : netbooks, smart phones, lecteurs ebook, iPad, 3D, réalité augmentée, etc…

Les réseaux sociaux en ligne prennent la place de la machine à café ou du bistrot. L’Internet et les mobiles ont ajouté une dimension d’expérience sociale à l’information.

Réseaux sociaux : une résidence secondaire !

L’Internet n’est donc pas qu’un lieu d’accès à la connaissance et au savoir. C’est désormais surtout un lieu de socialisation, un endroit où de plus en plus de gens vivent, échangent et communiquent. Une résidence secondaire ! Un lieu où l’information, partagée, est libre de circuler. Un endroit où les gens sont heureux de collaborer sans être rémunérés. Pour les jeunes, les réseaux sociaux sont désormais comme l’air qu’ils respirent ! La musique n’est plus seulement mobile, elle est devenue sociale.

Aujourd’hui, les géants des réseaux sociaux cherchent à prendre la place des anciens grands portails (Google, Yahoo, MSN…) comme porte d’entrée unique du web, et sont souvent plus utilisés que l’email pour communiquer. Ce sont des lieux privilégiés d’informations instantanées et partagées avec l’audience.

Ces “médias sociaux”, nouveaux médias de masse, où les contenus – rappelons-le -, sont produits, modifiés et distribués, au moins en partie, par leur audience, bousculent nos manières de travailler.

Après Google, Facebook (près de 500 millions d’utilisateurs) recentralise le web, en devient son premier site d’informations et le premier pourvoyeur de trafic, et sert d’identité numérique aux internautes pour circuler d’un site à l’autre. Twitter (100 millions) continue sa phénoménale expansion en devenant un outil de « broadcast », de diffusion publique et massive d’une personne vers une multitude, qui bat souvent les médias pour donner les infos importantes et les tendances. Skype compte plus de 500 millions d’utilisateurs, Mozilla et Wikipédia en ont 350 millions chacun.

Après des années d’efforts pour se placer le mieux possible sur Google, cet essor faramineux entraîne les médias traditionnels à privilégier désormais l’optimisation aux médias sociaux (SMO après le SEO): tout faire pour exister là où les gens vivent et échangent. Là où chaque information est accessible instantanément et peut être commentée en temps réel. Pour les médias, le temps réel a remplacé le “prime time”.

L’époque où chacun lisait chaque jour son journal imprimé arrive à son terme. Il devient d’ailleurs physiquement difficile de trouver des quotidiens en papier dans certains centre ville américains, voire même dans des grands hôtels aux Etats-Unis. Cette année, pour la première fois, des prix Pulitzer ont récompensé des sites web d’infos. Le règne sans partage des medias traditionnels, financés par de la publicité globalement inefficace est terminé.

C’est un nouveau temps de co-création avec les « consommacteurs » de l’information, de production pluridisciplinaire en réseau, d’innovations dans la distribution sur les réseaux. Cinq ans après son lancement, le site Huffington Post pourrait dès cette année dépasser le trafic du New York Times.

Le public, guidé par les progrès technologiques, réclame pertinence, instantanéité, facilité d’utilisation, localisation, connectivité, personnalisation de l’information, pour simplifier et enrichir sa vie. De l’information utile au moment présent et venant de multiples canaux.

Pour les médias traditionnels, victimes comme d’autres grandes institutions du 20ème siècle de la défiance du public, cette nouvelle équation gagnante signifie un défi compliqué: amener l’information là où les gens vivent, et essayer de la monétiser. D’où un bel avenir pour la publicité locale.

Tablettes et terminaux nomades: révolution des usages et espoir de la presse

Les tablettes constituent la première vraie opportunité des médias depuis l’arrivée de la dépression, et le développement informatique le plus important depuis l’arrivée des micro-ordinateurs. Elles risquent bien de transformer trois industries qui convergent actuellement à grande vitesse (l’informatique, les télécommunications et les médias).

Elles ouvrent un nouveau marché (une dizaine seront disponibles en 2010) et vont créer une nouvelle relation entre le public et les contenus, entre le public et l’informatique connectée, notamment par ce lien tactile qui permet de surfer avec les doigts et ce web embarqué, qui vont devenir la norme pour les petits objets.

L’iPad d’Apple, vendu à plus d’un million d’exemplaires le premier mois, s’ajoute aux autres appareils nomades (téléphones, laptops, baladeurs). Avec un produit sui generis, Apple fort de plus de 100 millions de clients, tente pour la 4ème fois, une révolution des usages, après avoir déjà transformé l’industrie des ordinateurs individuels (MacIntosh), de la musique (iPod) et de la téléphonie (‘iPhone).

Il offre la combinaison unique des qualités de l’imprimé, du web et de la mobilité et y ajoute une interface tactile. Et surtout un design séduisant de l’appareil et de ses contenus.

Planchettes de salut?

Les tablettes seront-elles de nouveau des outils de distribution de masse de contenus contrôlés (comme les journaux, la télé, la radio) ? Feront-elles revenir l’audience vers de l’information payante ? Les éditeurs seront-ils à la hauteur de cette nouvelle — et peut être dernière — opportunité ? L’iPad sauvera-t-elle la relation entre publicité et éditeurs ?

C’est en tout cas une révolution qui s’annonce pour le monde de l’éducation et déjà un formidable appareil de consommation de média, pour de l’informatique de loisirs passifs (« couch computing »), et donc un nouveau canal de distribution. Nouvelle forme d’accès aux consommateurs pour les marques, l’espoir est d’y vendre un contenu professionnel et que les annonceurs suivent.

Attention toutefois à la tentation de « minitelisation » du web ! Ne réussiront que ceux qui investiront pour y créer une nouvelle valeur pour le consommateur. Les éditeurs doivent se mettre vite au web mobile et aux tablettes, réinventer leurs contenus, stimuler leurs journalistes, créateurs et développeurs et travailler avec les départements marketing pour proposer de nouvelles offres.

Encourageant une nouvelle forme de lecture numérique, elles peuvent encourager une nouvelle forme de journalisme, plus riche, plus longue et plus multimédia. En somme, plus magazine et moins instantanée, comme les web documentaires.

Mais attention, les éditeurs vont aussi être en compétition directe avec d’autres fournisseurs majeurs de contenus : groupes de télévision radios, jeux vidéos, pure players, etc…

Les tablettes ne sauveront donc pas les médias qui sont déjà sous la ligne de flottaison, qui sont déjà dépassés par le web fixe, ou n’ont pas les capacités d’investir, mais elles donneront un coup de fouet aux plus puissants. C’est pour eux l’une des meilleures nouvelles d’espoir depuis des années. Mais pour les autres, le coût pour générer des revenus supplémentaires sera trop élevé.

Il faudra aussi du temps pour que leur utilisation se répande dans le public et pour que les éditeurs y voient clair dans les modèles d’affaires possibles. Il faudra être patient. Le retour sur investissement ne se fera pas en 2010. Nous n’en sommes qu’au début du web mobile et des tablettes, même si les ventes de tablettes (iPad, lecteurs ebook…) devraient atteindre 12 millions d’unités cette année après 5 millions en 2099 et 1 million en 2008.

L’érection désordonnée de nouveaux murs payants

L’arrivée des tablettes, associée à l’espoir d’une nouvelle monétisation, arrive la même année que l’instauration, en ordre dispersé et sans consensus, de barrières payantes sur les contenus d’informations en ligne, annoncée en fanfare il y a juste un an, sans que personne ne puisse dire, à ce jour, si cette stratégie s’avérera …. payante !

Il semble qu’on s’achemine, en fait, vers de nouveaux modèles hybrides avec quelques certitudes: la fidélité à une marque est plus faible en ligne, où la gratuité est une habitude bien ancrée, et où seuls les contenus de qualité, rares, utiles et sélectionnés, pourront se vendre.

Mais pour l’instant, la prudence est de mise. Chacun surveille ses concurrents de peur qu’ils ne laissent, eux, tout gratuit, comme en ont décidé, en Grande Bretagne, le Guardian, le Daily Mail ou le Mirror, en face des murs que mettra en juin Murdoch autour de ses journaux, Times et Sunday Times. Il préfère de petites audiences qui paient à de grandes qui ne paient rien.

Aux Etats-Unis, le New York Times mettra en place en janvier 2011 un péage au compteur (paiement après quelques visites gratuites, comme le Financial Times). En embuscade, le Washington Post reste en mode « wait & see ».

Même si chacun sait que la publicité média ne reviendra pas à ses niveaux antérieurs, qu’elle ne financera plus une rédaction à Peshawar, rares sont ceux désireux de se couper d’audiences, souvent en forte augmentation.

Chacun sent bien aussi que ce type d’initiative se fait à contre-courant d’évolutions sociétales actuelles fortes : ouverture, partage, collaboration, coproduction, etc…

Une logique « freemium » semble donc l’emporter aujourd’hui associant des contenus gratuits (le plus souvent des informations généralistes partout disponibles) à des contenus uniques de niche, et des services de qualité, à valeurs ajoutées, payants. Comme l’information en mobilité (smart phones, tablettes), au risque d’accélérer le déclin du papier. Et, au lieu de faire payer tout le monde un petit peu (longue traîne), l’idée est d’essayer d’obtenir un peu plus de quelques uns. Tout un équilibre savant à trouver.

Surtout que l’enjeu n’est pas seulement de faire consommer des contenus existants, mais surtout de retrouver une nouvelle pertinence, et de ré-initier la relation distendue avec le public.

Distorsion de concurrence et usines à contenus

Les choses se compliquent aussi avec deux nouveaux phénomènes.

D’abord l’apparition ces derniers mois d’un nouveau modèle d’affaires sur le marché de l’information: l’industrialisation de la production de contenus avec de véritables usines (ou fermes) “low cost” produisant chaque jour à la chaîne des milliers d’articles “fast food” de médiocre qualité (textes, photos, vidéos), produits de manière indifférenciée par des pros et des amateurs en fonction des requêtes les plus populaires des moteurs de recherche. Objectif: accroître le trafic des sites d’infos et toucher un peu plus de publicité. Certains estiment qu’en jouant ainsi avec les algorithmes de Google, ces nouvelles firmes de média vont rendre encore plus difficile la recherche du signal dans le bruit.

Ensuite, l’arrivée d’un vrai risque de distorsion de concurrence sur Internet (où tout le monde converge pour offrir finalement un contenu multimédia identique) venant des grands groupes de l’audiovisuel public, qui ont des ressources sans commune mesure avec les médias privés.

Financés par des subventions ou des redevances, ces grandes maisons comme la BBC, l’ARD, la RTBF, etc… mettent en place des stratégies 360°(TV, Internet, mobiles) pour maximiser le nombre de contacts tout au long de la journée avec le public. Elles viennent concurrencer les sites web sur des contenus d’information généralistes, mais défendent la notion d’intérêt général et de bien public que le marché ignore. Faute de modèles économiques probants et dans un secteur en crise, les médias publics risquent bien de devenir plus importants d’ici 10 ans. Bruxelles risque quand même de s’en mêler de plus en plus.

Le génie ne retournera pas dans la bouteille !

Parions que même avec les tablettes et les murs payants en ligne, le génie Internet ne retournera pas dans la bouteille. Le web a atomisé et démultiplié les contenus. Le public a appris à surfer, explorer, découvrir et réassembler. Il n’y jamais eu autant d’outils et d’appareils pour les mettre en relation avec un nombre aussi grand de sources. Après un web de publication et de diffusion, nous avons un web social de flux, où le temps s’est accéléré et l’espace rétréci.

C’est sans doute la chance des médias traditionnels et des journalistes: remettre un peu d’ordre, trier, sélectionner, vérifier, relier, mettre en perspective, donner du sens, packager, personnaliser l’information et les données, qui sont le nouveau pétrole de cette économie post industrielle.

Dans un environnement plus complexe et moins linéaire, les groupes de médias doivent évoluer de manière flexible, dans une culture de l’expérimentation, car ils naviguent dans des eaux qui changent constamment.

Mais attention aussi à la tentation de diaboliser Internet comme en Chine, voire en Australie, où le contrôle s’accroît. L’Internet est à tous, comme la culture. Méfions nous des tentatives d’en restreindre l’accès. La frustration devant les chambardements en cours ne sert à rien, surtout si on continue de proposer des contenus et des produits du 19ème siècle!

Pour offrir la meilleure expérience dans une société de l’interaction, les médias devront réconcilier la dynamique sociale du web et des contenus de qualité. Et garder ce qui fait leur force : leur capacité et leur structure reconnue pour enquêter sur les terrains difficiles et vérifier l’information. Car ils restent récipiendaires d’une certaine confiance. Pour combien de temps ?

Nous ne sommes qu’au tout début de cette révolution de l’information et personne ne sait où elle va !

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Billet originellement publié sur le blog d’Eric Scherer sous le titre “Remettre le génie dans la bouteille”.

Titre par Pierre France.

Retrouvez tous les autres cahiers de tendances d’Eric Scherer :

La nouvelle version sera bientôt disponible sur la soucoupe /-)

Crédits Photo CC Flickr : DotpolkaKevharbOberazziShironeKoeuroObservatoryleakNeedoptic.

Voici l’interview d’Eric Scherer réalisée par Damien van Achter pour le RTBFLabs :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

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Vers un web sans sites web http://owni.fr/2010/05/03/vers-un-web-sans-sites-web/ http://owni.fr/2010/05/03/vers-un-web-sans-sites-web/#comments Mon, 03 May 2010 14:51:59 +0000 Thierry Crouzet http://owni.fr/?p=2390 Les sites web ont été imaginés pour stocker des informations et les afficher à travers des navigateurs. Ce fut une révolution, notamment grâce à l’hypertexte décentralisé, mais aussi une façon de traduire à l’écran ce que nous connaissions sur le papier.

Il suffit de voir à quoi ressemblent encore les sites des journaux (où même les blogs): à des journaux traditionnels ! Très loin du look Google ou des services 2.0 les plus avancés. On reste dans l’ancien monde de Gutenberg.

Le web s’attachera-t-il longtemps à ce passé poussiéreux ? Je ne crois pas. Le web 3.0 n’existera jamais. Le web n’était qu’une étape transitoire, une façon de porter vers le numérique ce dont nous disposions déjà, un nouveau monde, certes, mais attaché à l’ancien monde. Incapable de vivre sans lui (d’où le problème du piratage qui n’est autre que le phagocytage de cet ancien monde).

flux

Ce que nous avons appelé le 2.0 n’était pas une révolution du web mais l’arrivée massive de services. Nous avons inventé notre boîte à outils : coopération, diffusion, recherche, agrégation… Ces outils nous aident à manipuler l’information et à la faire circuler.

Notre fusée peut maintenant lâcher son premier étage qui jadis la connectait au sol. Elle s’élève vers quelque chose de neuf, un cyberspace dans l’esprit de Gibson, un univers de flux qui se croisent et s’entrecroisent, s’éclairent mutuellement, se dissolvent, se reconstruisent ailleurs… phénomène évoqué par Nova Spivack.

L’idée d’un lieu de lecture privilégié et monétisable, le site web, est révolue. Nous avons des sources d’informations, les blogs par exemple, qui propulsent l’information pure dans le cyberspace. Puis elle circule, s’interface, se représente, se remodèle. Elle n’a plus une forme donnée, une mise en page, mais un potentiel formel qui peut s’exprimer d’une infinité de façons. Je me moque de la forme originelle quand je lis sur un agrégateur, éventuellement ouvert sur mon mobile.

Nous allons sur le web pour publier, régler nos tuyaux à flux, les brancher les uns sur les autres, les combiner, les croiser, les filtrer, les comparer… Nous y affutons notre moteur et puis notre vie numérique se passe ailleurs. Dans notre desktop, nouvelle génération de navigateur, sorte de récepteur de flux, où tout se combine et prend forme.

La fin du web, l’âge des propulseurs

Les sites deviennent des bases de lancement. Nous n’avons plus besoin de les visiter. Ils ont leur importance, tout comme celui qui parle a de l’importance, mais nous n’avons aucune raison de nous trouver en face de lui pour l’entendre. Nous pouvons le lire ailleurs, l’écouter ailleurs, le voir en vidéo ailleurs…

Cette pratique est à vraie dire fort ancienne, familière au monde de l’édition. Pour un texte, la forme est transportable, c’est la façon dont les idées et les scènes s’enchaînent, dont elles sont rendues, écrites… Le fond et la forme font bloc. La mise en page est une forme supplémentaire qui, le plus souvent, intervient en fin de chaîne. D’une manière générale, un même texte est lisible de plusieurs manières au fil des éditions (cartonné, souple, poche, luxe…).

Dans le monde des flux, comme dans celui de l’édition, la forme finale garde une grande importance mais elle n’est plus gérée à la source. C’est le desktop qui agrège les flux, se charge du rendu. Suivant les desktops, nous aurons des philosophies différentes. Des templates s’y grefferont. Tout changera encore en fonction du device de lecture (ordinateur, téléphone, reader…).

Un modèle que nous croyons stabilisé, celui du web, s’écroule. Il restera peut-être des boutiques, des points localisés d’interface avec la réalité matérielle, mais pour tout le reste, pour tout ce qui est numérisable, le point d’entrée localisé n’a plus aucun sens. L’information sera partout, dans un état d’ubiquité et de fluidité. Les liens se réorganiseront dynamiquement, bidirectionnellement, un peu comme les signaux dans un cerveau.

Le web ressemblait au monde de la presse. Le flux ressemblera au monde du livre, un monde où les livres seraient vivants, où chaque mot pointerait vers d’autres livres, où chaque phrase engendrerait des conversations avec l’auteur et les lecteurs. Ce n’est sans doute pas un hasard si de nouveaux readers voient sans cesse le jour en ce moment même. Nous devons pouvoir incarner le flux où que nous soyons.

Nous allons pousser des données dans le flux global. Certains d’entre nous se conteront de régler la tuyauterie, d’autres d’envoyer avec leur blog des satellites en orbite géostationnaire, d’autres de courts messages microblogués, juste des liens, des sourires, des impressions pendant que d’autres expédieront des vaisseaux spatiaux pour explorer l’infini, des textes longs et peut-être profonds.

Le temps des propulseurs est venu.

Notes

  1. Auteur, blogueur, éditeur, commentateur, retwitter… sont des propulseurs. Le consommateur passif est en voie de disparition. Si j’aime quelque chose, je le dis, donc je propulse.
  2. Dans la logique du web actuel, un éditeur ne diffuse dans ses flux RSS que les résumés de ses articles. Le but étant de renvoyer du trafic à la source.
  3. Dans la logique des flux, brider en sortie le flux RSS est une absurdité puisque la source n’est qu’un propulseur. Brider revient à refuser d’être lu. Plus personne n’aura envie d’aller visiter le propulseur.
  4. Tous les sites médias brident leurs flux pour tenter de préserver l’ancien modèle publicitaire. Alors qu’ils survivent avec difficulté sur le web et envisagent presque tous de revenir au modèle payant, un monde plus radicalement éloigné du leur apparaît. J’anticipe des jours de plus en plus sombres pour l’industrie de la presse.
  5. Les journaliste qui deviendront des propulseurs s’en tireront. Ils apprendront à régler la tuyauterie. Nouvelle génération de plombiers.
  6. Reste à inventer les outils de statistiques adaptées aux flux, comme les outils de monétisation des flux. Mais ceux qui attendront ces outils pour changer de paradigme seront une nouvelle fois laminés.
  7. Peut-être que la monétisation s’effectuera au moment de la lecture sur le modèle iTune. Je vois l’intérêt pour une œuvre originale, par exemple la nouvelle de Gwen, mais quel intérêt pour une news reprise partout sans guère de variation ?
  8. J’aime Twitter parce que c’est une technologie de lifestream qui révolutionne le web et nous fait enter dans l’ère des flux. J’aime Twitter parce qu’il devient un protocole auquel nous donnent accès des applications tierces. J’aime Twitter parce que je ne vais jamais sur Twitter. Je ne devrais même plus parler de Twitter mais uniquement d’une Federal Public Timeline. Elle m’aide à propulser mes textes et mes idées passagères dans le cyberspace naissant.
  9. Le cyberspace nait aujourd’hui même. Le web restait dépendant de l’ancien monde matériel. Voilà pourquoi les marchants ont été les premiers à s’y épanouir.
  10. Nous devons générer les flux avec nos outils, les mixer avec nos outils. Les flux doivent circuler et n’appartenir à personne sinon à leurs propulseurs respectifs. Nous sommes encore loin d’en être là mais c’est la direction. Un web où les sites s’effacent au profit de ce que nous avons à dire et à échanger.
  11. Ainsi Twitter devra être remplacé par un protocole décentralisé et robuste. Les développeurs y réfléchissent.
  12. C’est à Mozilla de devenir un desktop pour agréger tous les flux. Seesmic et cie ont peu de chance de se tirer d’affaire.
  13. Notre identité numérique sera concentrée sur notre point de propulsion, c’est là qu’elle s’incarnera, c’est de là qu’elle essaimera dans le cyberspace.
  14. Je crois aussi que le point de propulsion doit être open source, pour que notre identité n’appartienne à personne. WordPress est le meilleur point actuel. Mais sans doute trop marqué par son passé blog. Il faut un outil ou des outils capables de gérer tous les types de propulsion possibles.

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Article: Texte initialement publié sur Le peuple des connecteurs

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Internet à la croisée des chemins http://owni.fr/2010/04/28/internet-a-la-croisee-des-chemins/ http://owni.fr/2010/04/28/internet-a-la-croisee-des-chemins/#comments Wed, 28 Apr 2010 15:31:41 +0000 Philippe Quéau http://owni.fr/?p=13896 Titre original :

Cendres et gemmes

Google vient de créer un site qui pousse un peu plus loin que d’habitude, bien qu’encore fort modestement, le principe que les gardiens ont besoin d’être eux-mêmes « gardés », ou à tout le moins « regardés ».

En effet, sur http://www.google.com/governmentrequests/, on peut observer l’activité offensive des États et comparer le nombre et la nature de leurs requêtes interventionnistes vis-à-vis de Google et de ses utilisateurs.

Ces demandes des États concernent notamment l’interdiction de blogs, le bannissement de certains mots clés dans les recherches via Google, ou encore la suppression de l’accès à des vidéos présentées par YouTube.

Certains pays sont très actifs, et d’autres beaucoup moins. D’autres encore se sont totalement abstenus de la moindre intervention (ils ont peut-être d’autres façons de faire).

And the winner is… Brazil! Suivi de l’Allemagne, puis de l’Inde et des États-Unis. Ensuite viennent la Corée du Sud, le Royaume Uni et l’Italie.

L’outil est certes encore un peu sommaire, mais l’idée elle-même mérite qu’on s’y arrête. Elle montre fort bien comment la Toile et les applications qu’elle rend possibles, pourraient davantage être mises à contribution pour exposer les pratiques officielles ou officieuses, dévoiler les tendances à l’œuvre des politiques, et en finir avec un voile d’ignorance et d’hypocrisie.

Des progrès immenses restent certes à faire, mais enfin on peut rêver que la « chose publique » sera, par ce type de méthode, de plus en plus mise en évidence, et exposée en fait et en droit aux yeux du public mondial, pour sa considération et ses éventuelles réactions.

Dans un billet précédent (cf. Le WebCamGate), j’évoquais l’irrésistible marche de nos sociétés vers une « transparence » de plus en plus absolue, facilitée par la technologie, et implémentée de façon immanente dans les réseaux et les routeurs, appuyée par des « trap doors » de toutes sortes, et généralement par d’innombrables outils de dévastation de la vie privée (des WebCam piratables aux RFID).

Cette transparence totale, vers laquelle il semble que nous nous dirigions à marche forcée, s’accroît sans cesse tous les jours, sans réaction notable des foules, trop contentes de bénéficier de certains avantages secondaires pour se préoccuper de questions philosophiques telles que la question de l’identité, ou celle de la privatisation de l’intérêt public.

Mais il est piquant de voir à travers l’exemple dewww.google.com/governmentrequests, combien la « transparence » imposée au plus grand nombre pourrait en fait se retourner brutalement contre le « système », si l’on prend cette expression dans une acception extrêmement englobante, couvrant un consensus plus ou moins général, que l’on peut qualifier, pour simplifier, de « société de l’information ».

La dynamique qui s’est enclenchée avec la mondialisation en réseau, offre plusieurs logiques en compétition active pour prendre le dessus. Il y a la logique capitalistique, ou la sécuritaire par exemple, mais aussi la collaborative, l’ouverte et la libre. De l’écosystème complexe qui contient toutes ces tendances contradictoires, que sortira-t-il? Quelque chose d’aussi imprévisible, à mon avis, que le nuage de cendres volcaniques qui a paralysé le ciel européen ces derniers jours.

Ce qui fut le plus surprenant, en effet, ce n’est pas qu’un volcan ait pu se manifester à sa manière, mais c’est à quel point une société de plus en plus obsédée par la sécurité, et notamment dans le domaine du transport aérien, a pu montrer un tel état d’impréparation et même d’ignorance absolue.

Pour continuer la métaphore, la Toile est un volcan qui commence à peine à se réveiller. Nul ne sait si de ses cendres ou de ses laves futures, c’est la fin d’un monde qu’il faut attendre, comme jadis Pompéi succomba, ou bien au contraire de riches territoires à la terre grasse, noire et prolifique, et parsemées de diamants, d’améthystes et autres gemmes.

Billet initialement publié sur Metaxu

Photo CC by i_yudai

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