OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Riche armée http://owni.fr/2012/02/17/riche-armee-smp-rapport-parlement/ http://owni.fr/2012/02/17/riche-armee-smp-rapport-parlement/#comments Fri, 17 Feb 2012 20:13:37 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=98739

La France passe à côté d’un marché de 100 à 200 milliards de dollars par an. L’assertion est fréquente dans la bouche des entrepreneurs de sécurité à la tête des “sociétés militaires privées” françaises. Une appellation impropre au cas français, selon deux députés membres de la commission de la Défense, Christian Ménard (UMP) et Jean-Claude Viollet (PS), auteurs d’un rapport d’information sur le sujet.

Dans ce document, déposé le 14 février, les rapporteurs préfèrent l’expression “entreprises de services de sécurité et de défense (ESSD)” qui “regroupe[nt] un ensemble de prestations nombreuses mais cohérentes [ayant] en commun de se situer à la périphérie de ce qui fait l’essence du régalien”.

En France, l’état actuel de la législation ne permet pas de créer des sociétés militaires privées, tombant sous le coup de la loi de 2003 réprimant le mercenariat. Exit Bob Denard et ses sulfureuses barbouzeries africaines :

Il n’y a rien de commun entre les prestations d’ingénierie proposées par les grandes ESSD françaises et l’action menée jadis par Bob Denard et ses associés.

Oubliées aussi les curieuses missions à l’étranger, comme Secopex ou le fleuron des entreprises françaises, Géos en ont réalisées en Libye, au grand étonnement de ces mêmes députés.

Des députés étonnés des missions en Libye

Des députés étonnés des missions en Libye

Émotion à la Commission de la Défense de l'Assemblée nationale. La société de sécurité privée Geos a formé des ...

Un marché de 200 milliards

Aujourd’hui, l’intérêt est d’abord économique. “Le marché mondial a probablement atteint les 200 à 400 milliards par an ces dernières années, artificiellement gonflés par les théâtres d’opération en Irak et en Afghanistan” explique Christian Ménard à OWNI. L’une des principales sociétés militaires privées américaines, la Military Professional Ressources Inc. (MPRI), a remporté un contrat de 1,2 milliard d’euros pour assurer la formation de l’armée afghane. Gallice est l’une des rares sociétés françaises à être implantée en Irak, où le trajet entre l’aéroport et la zone verte se monnaye 1000 dollars. Inconcevable, pour les députés, que les Français passent aujourd’hui à côté des principaux foyers de demandes, sans pouvoir définir précisément quelles missions pourraient être confiées à des privés.

Ce qui ne constitue pas le “cœur de métier” de l’armée a vocation à être externalisé. Pour l’heure, aucun consensus n’a pu être tiré sur ce fameux cœur de métier, comme l’écrivent les députés. Parmi les militaires interrogés, certains conservent une conception étendue du régalien, donc du cœur de métier.  Sous l’effet combiné de la révision générale des politiques publiques lancée en 2007 et la rédaction du livre blanc sur la défense en 2008, la réflexion stratégique s’est concentrée sur la définition du cœur de métier, sans parvenir à la définir précisément.

A défaut de concepts solidement posés, le privé s’impose par la lorgnette du pragmatisme selon les deux députés, qui pointent les théâtres somaliens et libyens comme premiers marchés à conquérir. Christian Ménard et Jean-Claude Viollet se sont déplacés en Libye. Ils en sont revenus avec la conviction qu’il existait “une attente forte vis-à-vis de la France” dans ce domaine.

Il est donc très souhaitable que, dans le cadre du droit libyen, nos sociétés parviennent à nouer des partenariats afin de s’implanter durablement dans ce pays.

Une société française, Galea, est déjà installée en Libye, en partie grâce à sa présence en Égypte et à de bons réseaux dans le pays. Argus, une société de droit hongrois, dirigée par des Français, est sous contrat avec l’Union européenne pour “la protection de ses locaux et l’escorte de ses employés”. Curieusement, les gardes de la société sont armés, “par le truchement d’un statut diplomatique” écrivent les rapporteurs.

Soldats privés contre la piraterie

Mais c’est surtout du côté du détroit de Bab el Mandeb, au large de la Corne de l’Afrique, que se tournent les regards des “ESSD” françaises. Sous la menace de la piraterie, l’Union européenne a lancé l’opération Atalante. La France met à disposition des équipes de protection embarquées, notamment sur les navires du Programme agricole mondial et les thoniers senneurs. Une utilisation de l’armée qui ne va pas sans faire grincer des dents. Les députés notent que ces missions “relèvent davantage de la sécurité internationale que du domaine militaire proprement dit”. Elles reviennent à utiliser la force publique pour protéger des intérêts privés.

Les équipes de fusiliers marins coûtent 2000 euros par jour en moyenne, contre 3000 euros en moyens pour une équipe privée, écrivent-ils. La différence est prise en charge par l’armée elle-même, sur son budget annuel. Dans ce contexte, les deux rapporteurs estiment que la France “est désormais prête à autoriser l’embarquement de personnels privés armés à bord des navires commerciaux traversant des zones dangereuses”. Là encore, un marché colossal. Pour les entreprises françaises, il serait d’environ une centaine de millions d’euros.

Le Secrétariat général de la mer s’était penché sur la lutte contre la piraterie en 2011. Sa production n’a pas été rendue publique, mais il semble avoir retenu un processus de labellisation des navires, en fonction de plusieurs critères, dont l’intérêt stratégique du chargement pour la France. Selon nos informations, les convois jugés stratégiques seraient pris en charge par les forces publiques, les convois importants pourraient être confiés à la Marine ou à des gardes privés qui hériteraient systématiquement des navires n’entrant pas dans ces deux catégories.

Christian Ménard souhaite quant à lui une mise en place rapide des équipes embarquées privées, sans même attendre la prochaine législature. “A titre d’expérimentation, ces embarquements peuvent être tentés en se basant sur une modification des règlements” précise-t-il. Le rapport mentionne d’ailleurs une expérimentation en cours en Algérie, pour la protection d’enceintes diplomatiques. Le parc Peltzer, à Alger, est ainsi “géré par une [société de sécurité privée] algérienne supervisée par des gendarmes français”, de même que le lycée français.

Instrument d’influence

De ces expériences, les députés retiennent que “les SMP peuvent être un instrument d’influence considérable pour les États” écrivent les deux députés, citant l’exemple de la société Blackwater. Devenue Xe pour faire oublier le carnage de septembre 2007 à Bagdad et aujourd’hui dénommée Academi, la société militaire privée américaine assure la sécurité de l’oléoduc Bakou-Tbillissi-Ceyhan et la formation de la marine azérie, des contrats qui “permettent très concrètement aux États-Unis de s’implanter discrètement dans une région sensible et stratégique, entre l’Iran et la Russie”.

Même constat à propos du contrat de la société avec les Émirats arabes unis. D’un montant d’environ 500 millions de dollars, le contrat prévoit la formation “d’une force militaire supplétive”. Révélée par le New York Times en mai dernier, l’affaire avait attisé les craintes de voir cette deuxième armée être utilisée comme force de police, particulièrement dans le contexte des révoltes arabes.

Sécurité privée d’État

Sécurité privée d’État

Un nouveau conseil des sages des sociétés de sécurité privée, le Cnaps, est installé ce 9 janvier pour tenter de ...

Les rapporteurs préfèrent y voir “un formidable levier d’intervention pour [les] Etat[s] d’origine”. C’est aussi par promotion, et protection, de l’intérêt national que les deux députés souhaitent que les sociétés françaises puissent faire appel aux ESSD du même pays, ce qui “laisse supposer un meilleur respect des informations les plus sensibles”. L’équipe France ainsi constituée est perçue comme “un facteur de consolidation de l’influence française” à l’étranger.

Le rapport avance plusieurs possibilités pour assouplir la législation en vigueur, notamment en intégrant les sociétés militaires privées à la loi de 1983 sur les activités privées de sécurité. Le tout jeune Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps) pourrait se voir confier la tâche de labelliser les sociétés qui veulent avoir de telles activités à l’étranger.


Photos de Lego sous licences Creative Commons par Poncho Penguin et Dunechaser

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Le grand oeuvre des mercenaires http://owni.fr/2012/02/10/grande-oeuvre-mercenaires/ http://owni.fr/2012/02/10/grande-oeuvre-mercenaires/#comments Fri, 10 Feb 2012 15:54:10 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=97980

Voulez-vous gagner de 50 000 à 200 000 dollars par an ou plus, travailler dans des lieux exotiques autour du monde ?
La Mercenary International Corporation a les meilleures propositions du marché pour les gens qui ont une expérience du combat et recherche des métiers à hauts risques dans des zones de guerre.

L’annonce a essaimé sur les réseaux à partir de juin 2011. Murs Facebook de l’armée américaine, de la société militaire privée (SMP) Black Water – renommée Xe puis Academi – et groupes liés à l’Afghanistan et l’Irak ont tous affichés un temps l’offre d’emploi, qui se poursuit :

Postulez et partez dans une des destinations de votre choix : Afghanistan, Soudan, Israël, Colombie, Liberia, Irak, Côte d’Ivoire, Somalie, le Pacifique sud et bien d’autres destinations à travers le monde !

Elle émane de la Mercenary International Corporation (MIC), une SMP créée en France en 2008. Au mépris de la loi de 2003, “relative à la répression de l’activité de mercenaire”,  qui l’interdit en France, elle s’affiche ouvertement “entreprise internationale de mercenariat”. Les candidatures ont abondé. D’abord anecdotiques, elles sont bien plus fréquentes à partir de juin 2011, une cinquantaine parviennent à son fondateur.

Son créateur plutôt. Emeric Lhuisset est un jeune artiste, pas un entrepreneur de la sécurité. La Mercenary International Corporation n’a d’existence qu’à travers un vrai-faux site Internet. La MIC est un projet, une construction artistique, une façon d’observer notre rapport à la sécurité par un prisme incongru, tout en restant profondément ancré dans le réel. Si bien que des candidats ont envoyé leur CV. Quelques uns d’abord, puis plusieurs dizaines quand l’annonce a été postée sur les réseaux.

CV de mercenaires

Emeric Lhuisset vient d’en publier une partie dans un ouvrage édité à 50 exemplaires. Les CV des candidats mercenaires sont anonymisés. Seuls quelques détails sur l’identité et le parcours des postulants apparaissent. Les Américains, les Croates et les Sud-Africains sont les plus nombreux. Quelques Français apparaissent aussi. Les parcours sont parfois étonnants, à l’instar de cet ancien de la police municipale passé dans le privé, aujourd’hui avide d’une expérience au sein de la MIC. Plusieurs Croates expliquent avoir suivi une formation à l’International security academy en Israël. Une même phrase revient à la fin de leur CV :

NOTE: I’m ready for any challenges and I have skills for do it in any part of the world.

(NOTE : Je suis prêt pour n’importe quel défi et j’ai les compétences pour les affronter dans n’importe quelle partie du monde).

Dans un anglais très approximatif, un autre met en avant son vécu personnel :

I have 5 years of foreign legion behind me I’m one level of strength and still feel like with my 25 years I was born in a country at war so the war never scared me so my problem is English

(J’ai 5 années à la légion étrangère derrière moi je suis fort (?) et me sens comme à mes 25 ans je suis né dans un pays en guerre donc la guerre ne m’a jamais fait peur donc mon problème est l’anglais)

Cette plongée soudaine dans un milieu très clos et, croyait-on, plutôt parano, a surpris Emeric Lhuisset  : “Jamais je n’aurai cru pouvoir tromper ces gens-là. Deux profils se distinguent parmi les candidats : les débutants et les barbouzes.”

Postuler pour une boite qui met en avant le mot mercenariat est loin d’être anodin. Sur la couverture du livre, on retrouve  l’annonce, en anglais et en français. Une annonce réelle, qu’une autre SMP utilisait pour son recrutement. A l’intérieur, les CV se succèdent, sans un mot de l’auteur, sans aucune intervention sur la forme, la police ou la mise en page. Emeric Lhuisset travaille sur cette accumulation brute, sur le modèle d’un Christian Boltanski, qui a été son professeur aux Beaux-Arts.

L'équipe M.I.C à la FIAC

Un autre livre devrait être prochainement édité, avec les nouvelles candidatures reçues, mais le projet de la Mercenary International Corporation ne s’y limite pas. En 2008, lors de la Foire Internationale de l’Art Contemporain (FIAC) Emeric Lhuisset et son complice Yann Toma avaient déboulé entourés de gardes du corps appartenant officiellement à la MIC, suivis par une nuée de photographes et de caméras. Tous étaient complices de cette performance. Très vite, les curieux s’étaient rapprochés, créant une foule d’une centaine de personnes, agglutinée pour voir ceux qui faisaient l’objet de tant d’attention, une attention factice évidemment.

Un non-événement a créé un événement. Avec la MIC et les travaux autour, j’essaie de créer des ruptures pour l’observateur, des ruptures dans l’espace et le temps.

Et de prendre pour exemple le vigile dans un supermarché et des militaires dans une gare : “Si vous inversez les deux, si le militaire armé surveille le supermarché, les passants le remarqueront et s’interrogeront sur sa présence.” Une façon de questionner notre rapport à la sécurité. A peine a-t-il fini sa phrase, qu’une dizaine de militaires passent dans la rue sur laquelle donne le café dans lequel nous sommes installés. Sur la terrasse, tous les regards se tournent vers eux, en uniforme, fusil famas à la main.

A la croisée des sciences sociales et de l’art

L’idée de la MIC a germé au contact – impromptu – de gardes privés, des contractors, en Afghanistan, a ensuite grandi entre la Nouvelle-Orléans où Blackwater était intervenu après le passage de l’ouragan Katrina et les gated communities en Amérique latine. En 2004, Emeric Lhuisset se fait brièvement mais fermement interpeler par des contractors à Kaboul. Il n’est pas encore aux Beaux-Arts mais découvre l’existence des SMP. Intéressé par la rencontre de l’histoire, de la géographie et de l’art, il entame un travail sur les conflits armés tout en continuant à voyager.

Aux États-Unis, la culture de la peur et de la paranoïa est très forte. Or les SMP ont besoin de cette peur pour vendre leurs services !

C’est une sorte de business de la peur.

Des affaires si fructueuses que certains en oublient la loi, et postulent dans une entreprise dont le nom est sans ambiguïté. Les CV sont adressés à Emmanuel Goldstein, le directeur général fictif, du nom du faux résistant créé par Big Brother dans 1984 afin de renforcer le régime par la haine de l’ennemi commun.

En janvier, pour la première fois, un candidat s’est ému : “Est-ce vraiment légal ?” Une question que n’ont pas posée les sept candidats chinois, issus des forces spéciales, qui tiennent absolument à travailler ensemble.


Illustrations Emeric Lhuisset ©

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Un soldat privé de Libye http://owni.fr/2011/10/21/libye-cnt-secopex-martinet-benghazi/ http://owni.fr/2011/10/21/libye-cnt-secopex-martinet-benghazi/#comments Fri, 21 Oct 2011 11:09:49 +0000 Pierre Alonso et Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=84221

Pierre Martinet, le 18 octobre à Paris.

Pierre Martinet était à Benghazi pour la Secopex, la société militaire privée française dont le directeur Pierre Marziali, a été tué le 11 mai au soir, dans ce bastion de la rébellion libyenne. Ancien de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), il travaille depuis plusieurs années dans le secteur privé. Pour OWNI, il revient sur les conditions de la mort de Pierre Marziali et sur ses dix jours de détention à Benghazi.

Pourquoi étiez-vous en Libye ?

Nous étions là-bas parce que dès le début de la rébellion, plutôt vers le 14 février que le 17, Pierre Marziali (le directeur de la société militaire privée Secopex, NDLR) m’a contacté. Il voulait créer un bureau sur place et proposer les services de sa société aux rebelles. Fin mars, Marizali a pris la décision d’y aller en réunissant des fonds pour y rester deux mois. Il m’a proposé de diriger cette mission et d’ouvrir le futur bureau sur place. Nous proposions plusieurs services : du conseil militaire et stratégique, de la formation, des escortes et la sécurisation du pipe-line entre Koufra (dans le Sud) et Benghazi.

Comment vous êtes-vous rendus sur place ?

Nous étions une équipe de trois personnes, arrivées le 17 avril au Caire et le 18 à Benghazi. Nous n’avions aucun contact sur place. Marziali ne faisait pas partie de cette première équipe. Dès le lendemain de notre arrivée, nous nous sommes présentés au CNT (le Conseil national de transition, NDLR). Progressivement on a rencontré Abdel Hafiz Ghoga, le numéro 2 du CNT, puis un général proche du général Fatah Younes. Nous avons eu un sauf-conduit du CNT et une personne nous a ouvert des portes. C’était de la prospection. Un rendez-vous était prévu avec Ghoga le 12 mai pour convenir d’un contrat.

Marziali est arrivé en Libye avec un adjoint pour ce rendez-vous. Nous nous sommes retrouvés le 11 vers 13 heures à la frontière libyenne. Vers 20h30, nous sommes arrivés à la villa dans laquelle on habitait à Benghazi. Nous sommes ensuite allés dans un restaurant où on avait l’habitude de dîner et sommes sortis vers 23h. Alors qu’on rentrait à pied, un 4×4 pick-up avec un bitube de 14.5 sur le toit nous a mis en joue. Un convoi de plusieurs voitures l’accompagnait. 20 à 25 personnes cagoulées en sont sorties et nous ont obligés à nous allonger à plat ventre, les mains attachées dans le dos. Un coup de feu a retenti. J’ai entendu Marziali dire « Je suis touché ». Ses yeux se sont fermés. Ils nous ont ensuite bandés les yeux et emmenés.
Le convoi faisait partie de la Katiba (la brigade) du 17 février qui est suspecté d’être impliquée dans l’assassinat de Fatah Younes.

Où vous ont-ils emmenés ?

Dans une caserne. Ils nous ont déshabillés et emprisonnés chacun dans une cellule. J’entendais gueuler, ça tirait de partout. Puis je me suis retrouvé face à deux mecs dans un interrogatoire. L’un d’eux était cagoulé et parlait français. Ils me posaient deux questions : pourquoi vous travaillez pour Kadhafi ? quel est le nom et le numéro de votre contact à Tripoli ? Le type non cagoulé me tabassait. Les autres membres de mon équipe ont aussi été tabassés. Sur l’un d’eux, ils ont posé des électrodes pour simuler une séance de torture.

Deux jours après, le vendredi 13, j’ai de nouveau été interrogé. Le lendemain soir, on nous annonce que nous allons rencontrer Antoine Sivan (le représentant spécial de l’État français auprès du CNT, NDLR). Sivan nous a dit qu’un juge avait été nommé à Benghazi et qu’il voulait enquêter. Entre-temps, nous avions vu une représentante de la Croix-Rouge internationale. Après, les interrogatoires ont continué. Le jeudi suivant, le 19 mai, lors d’un énième interrogatoire, un type nous annonce que nous allions être libérés. La veille de notre libération, vendredi 20, toutes les questions étaient axées sur Ghoga avec qui nous avions rendez-vous le lendemain de notre arrestation.

En fin d’après-midi vendredi, Antoine Sivan est revenu nous voir. Ils nous expulsent. Mais dans la nuit de vendredi à samedi ils nous ont réunis et rassemblés dans une pièce avec chaises et caméras vidéo. Ils nous ont demandé de reconnaître qu’on travaillait pour Kadhafi. Ça a duré quelques heures. Puis au petit matin ils nous ont pris en voiture, nous ont ramenés jusqu’à la frontière égyptienne où ils nous ont remis au vice-consul de l’État français. L’État français nous a offert la chambre pour la nuit.

Pour quelles raisons pensez-vous avoir été arrêtés ?

De précédents voyages de Marziali en Libye en 2006 ont posé problème. Des rivalités existent aussi entre le CNT politique et la Katiba du 17 février. Ils ont réellement douté que nous étions à la solde de Kadhafi.

Etiez-vous en concurrence avec d’autres sociétés militaires privées sur ces contrats en Libye ?

J’ai appris qu’une société française était également sur place, Risk and Co, mais je n’en sais pas plus.


Photo OWNI Ophelia Noor [by-nc-sa]

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Des députés étonnés des missions en Libye http://owni.fr/2011/10/11/deputes-libye-geos-dst/ http://owni.fr/2011/10/11/deputes-libye-geos-dst/#comments Tue, 11 Oct 2011 06:27:54 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=81792 À en croire les déclarations récentes d’un responsable de la société de sécurité Geos, en 2005, celle-ci aurait formé des forces spéciales libyennes à la demande de la Direction de la surveillance du territoire (DST), devenue depuis la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). Une curiosité, puisque ce service est supposé s’intéresser aux seules affaires intérieures et ne dispose pas de la faculté de déléguer ses activités à des sociétés privées.

Interrogés par OWNI, des députés de la Commission de la défense nationale se sont dit surpris par cette découverte, passée largement inaperçue. Christian Ménard, député UMP du Finistère, affirme être “étonné d’une telle démarche” de la part du contre-espionnage français et par les déclarations des dirigeants de Geos. “Ce n’est pas dans leur intérêt” commente-t-il. Le député socialiste de Charente, Jean-Claude Viollet, également membre de la commission, réagit vivement :

Cela me conforte dans l’idée qu’il faut travailler sur la réalité des sociétés de sécurité privés. Il ne faut pas rester en l’état et cet épisode en est la preuve. Il faut mieux contrôler, encadrer et légiférer en la matière pour encadrer les activités.

Les deux députés sont en charge d’un rapport d’information visant à mieux adapter la législation sur les sociétés de sécurité privée. Il devrait être déposé d’ici la fin de l’année.

Audition à l’Assemblée

Le 25 mai dernier, les parlementaires avaient justement auditionné le général Jean Heinrich, ancien responsable opérationnel de la Direction générale de la sécurité extérieur (DGSE), et actuel dirigeant de Geos, à l’origine de ces étonnantes déclarations. Dans Le Monde du 8 septembre, le général confirmait avoir effectué cette mission :

Après quelques mois, la DGSE [son ancien service d'appartenance, autorisé, lui, à intervenir à l'étranger, NDLR] nous a dit qu’elle remplirait elle-même ce contrat et enverrait ses propres agents réaliser la mission, avait-il concédé.

Le contrat avec la Libye conduit donc à s’interroger sur les liens entre la société et la DST. Le numéro deux de Geos, Louis Caprioli, était jusqu’en mars 2004 sous-directeur de la DST en charge de la lutte antiterroriste. Trois mois après sa retraite, il a été recruté par Geos comme conseiller spécial et membre du comité de direction de la société. Geos, qu’on a connu plus loquace, a refusé de répondre à nos questions sur ce point. Et Caprioli n’a pas non plus donné suite à nos demandes d’entretien adressées directement.

Human Rights Watch, l’ONG qui a récupéré une grande partie des archives des services secrets libyens, affirme n’avoir aucune information concernant la société Geos. De son côté, le Ministère de l’intérieur dont dépendait la DST et dépend aujourd’hui la DCRI, ne souhaite pas apporter de commentaire trop précis :

Il s’agit d’un sujet sensible, la DCRI ne souhait pas répondre et oppose une fin de non-recevoir. Elle ne fera aucune communication sur le sujet.

Les forces spéciales évoquées par Le Monde sont en fait les gardes du corps du colonel Kadhafi, corrige un fin connaisseur du milieu. C’est d’ailleurs ce qu’avait rapporté la lettre d’information Maghreb Confidentiel, en février 2003, expliquant que Geos allait assurer “non seulement la restructuration de sa garde rapprochée mais également la sécurité de ses déplacements à l’étranger.”

Dans l’entourage de l’entreprise, des familiers du dossier affirment que le contrat était piloté par le général Heinrich et Louis Caprioli. Selon ces sources, sa réalisation en a été confiée à une société sous-traitante, une pratique courante lorsqu’il s’agit d’activités sensibles dont toute trace pourrait être embarrassante… D’autant que ce n’était pas dans la politique de Geos de servir des États étrangers, préférant les contrats avec le secteur privé, notamment l’accompagnement des entreprises en zone à risques.

Relance des activités libyennes

Certains suggèrent que les réseaux de Louis Caprioli ont bénéficié à Geos, évoquant le rôle clé que l’ex chef du service de renseignement libyen, Moussa Koussa. Il était l’interlocuteur privilégié des services occidentaux. Au moment de sa défection, en mars 2011, Moussa Koussa était présenté comme chef de la diplomatie libyenne et “membre du premier cercle” de Kadhafi. Ce qui n’empêche pas Geos de relancer ses activités aujourd’hui dans la Libye post-Kadhafi.

Ainsi, le 6 septembre, le général Heinrich participait à une réunion organisée par la Chambre de commerce franco-libyenne et le Medef International. En témoignent les photographies diffusées sur la page de l’événement du site de la Chambre de commerce avant d’être supprimée. Elle est toujours accessible dans le cache de Google : on peut voir le général Heinrich en bas au centre de la photo présentée en haut à droite de la page. Un bureau de Geos vient d’ailleurs d’être ouvert en Libye par un ancien de la DGSE.

Confier la formation d’une unité d’élite à une société privée est monnaie courante en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, culturellement plus enclins à externaliser les missions de défense. En France en revanche, seules quelques activités sont externalisées, non sans provoquer de débats, y compris donc au sein de la Commission de la défense nationale de l’Assemblée.


Illustrations via Flickr: Sky Eckstrom [cc-by-sa] ; Yngvardo [cc-by]

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Soldats privés mais pas désarmés http://owni.fr/2011/06/27/soldats-prives-mais-pas-desarmes-geos-alstom-loreal/ http://owni.fr/2011/06/27/soldats-prives-mais-pas-desarmes-geos-alstom-loreal/#comments Mon, 27 Jun 2011 16:04:30 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=71962 Quand on les interroge, les responsables des sociétés militaires privées françaises aiment à affirmer que leurs employés ne portent jamais les armes. Loin des discours officiels, la réalité offre un spectacle plus nuancé. En témoignent des courriers que nous avons obtenus et qui ont été échangés entre différents représentants de Géos, la plus importante entreprise française du secteur. Ils retracent les discussions entre la filiale brésilienne de Géos et le siège parisien au sujet des escortes armées pour accompagner des responsables d’Alstom et le président de L’Oréal, Jean-Paul Agon (ici orthographié Hagon).

Dans la troisième page de ce document, l’un des directeurs des opérations, Thierry Clair, avertit Michel Campioni, alors secrétaire général de Géos, et le général Jean Heinrich, président du directoire du groupe Géos, des risques encourus pour la filiale si elle accepte ces deux contrats. Il pointe aussi l’absence d’assurance des salariés, confirmant ce que nous avions déjà rapporté quant aux conditions de travail et d’embauche.

Selon plusieurs témoignages, la filiale brésilienne s’est placée à différentes reprises dans une situation délicate au regard de la législation sur le port d’arme et sur l’encadrement de personnels armés. Dans un courrier adressé au Consul Général de France à Sao Paulo, un ancien salarié du bureau brésilien évoque lui aussi “les activités illégales de cette entreprise” citant la “supervision accompagnement armé” sans donner plus de détails.

Des familiers de la filiale ont expliqué à OWNI que les entreprises de sécurité étrangères pouvaient obtenir l’autorisation du port d’arme auprès de la police fédérale à deux conditions. La filiale doit être créée avec des fonds brésiliens, et le directeur doit être lui-même de nationalité brésilienne. Jean-Pierre Ferro, chargé de développement du groupe Géos en Amérique latine et fondateur du bureau brésilien, nous a expliqué que ces conditions étaient respectées, le directeur étant Fausto Camilo. Celui-ci affirme quant à lui avoir occupé la position de responsable juridique et se refuse à faire tout commentaire sur les activités de Géos au Brésil, qu’il a quitté à l’automne 2010. D’autres sources nous ont affirmé que la plupart des sociétés présentes sur place n’avaient pas les habilitations nécessaires.

Sous-traitance

Pour assurer la sûreté des personnes ou des installations dans les pays à risque, les sociétés de protection ont deux options. Elles peuvent faire appel à des prestataires locaux armés en accord avec la législation en vigueur. En Irak, où de nombreuses sociétés militaires privées, y compris françaises, sont implantées, le ministère de l’intérieur est chargé de délivrer les autorisations de port d’armes. Elles peuvent aussi faire appel aux autorités du pays, aux forces de police ou militaires, pour assurer l’encadrement armé. “Les managers employés par les sociétés françaises ou leurs filiales locales sont chargés de l’organisation, de la coordination entre les différents acteurs” nous explique un ancien security manager, fin connaisseur des schémas d’encadrement.

La question de l’utilisation de moyens armés est centrale pour qualifier l’activité de ces sociétés. “Les sociétés militaires privées, sur le modèle anglosaxon, possèdent des chars et des avions de combats” assure le général Jean Heinrich (ancien chef du Service action de la DGSE) invoquant son expérience en Bosnie lors d’un entretien qu’il nous a accordé. Les sociétés françaises revendiquent quant à elles la qualité de “sociétés de sûreté”. Pas d’armée privée donc, ni d’armes pour les employés. Centrale, la question de l’armement n’en demeure pas moins une question épineuse. Surtout quand les demandes viennent des clients comme dans cette affaire entre L’Oréal, Alstom et Géos Brésil. Mercredi, le général Heinrich nous avait expliqué, formel :

Géos n’est pas une société militaire privée. Nos personnels de sûreté ne sont jamais armés.


Photo Flickr CC BY-NC-SA 2.0 par Dunechaser

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Les mercenaires filent à l’anglaise http://owni.fr/2011/06/13/les-mercenaires-filent-a-langlaise/ http://owni.fr/2011/06/13/les-mercenaires-filent-a-langlaise/#comments Mon, 13 Jun 2011 14:58:55 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=67655 Depuis quelques semaines, la filiale anglaise du groupe Géos, fleuron des sociétés militaires privées françaises, est au centre de plusieurs procédures ouvertes bien souvent après des plaintes de ses anciens employés. À Londres, OWNI a obtenu les procès-verbaux et les registres de cette curieuse structure, Geos International Consulting Limited (voir ci-dessous), montrant qu’elle relève directement du siège du groupe Géos, en région parisienne. De grands noms apparaissent dans ces registres britanniques. Ceux du général Jean Heinrich (ex patron du Service Action de la DGSE) ou de Guillaume Verspieren (l’héritier du groupe d’assurance et actionnaire majoritaire du groupe Géos en France). Installée au 81 Rivington Street à Londres, la société apparaît dans au moins quatre affaires sensibles.

  • Enquête préliminaire du parquet de Nanterre pour des bizarreries comptables,
  • Dossiers aux prud’hommes de Versailles et de Boulogne-Billancourt ouverts par des anciens des forces spéciales expédiés en Algérie ou au Brésil qui reprochent au groupe de ne pas avoir payé leurs cotisations sociales,
  • Ou encore investigations policières après les missions d’un cadre de Géos pour le compte des services de sécurité de Renault à l’origine du plus gros scandale social connu par le groupe automobile.


Créée en 2001, cette société anglaise serait chargée de “la gestion des opérationnels, du support et de l’accompagnement des projets“, nous explique-t-on au siège parisien de l’entreprise. Cependant, les procès-verbaux de la filiale montrent qu’elle intervient dans le domaine de “l’investigation et de la sécurité“. Toujours selon ces papiers, Géos déclarait en Grande-Bretagne 114 personnels d’opération et 22 personnels administratifs et deux personnes chargées de la gestion, entre septembre 2008 et décembre 2009, pour un chiffre d’affaire de 20 984 000 euros. Mais des témoins, familiers des lieux, nous décrivent un bureau de 40 m2 où travaillent une secrétaire et un comptable.

Des anciens des forces spéciales relevant de la structure anglaise ont récemment porté plainte. Tel Roland Renaux, responsable de la sécurité en Algérie, officiellement employé via un contrat anglais, mais percevant un salaire net en euros, versé sur un compte en France. Cet ex-commando marine pilotait la sécurité sur un site d’Alstom Power, où sont déployées d’importantes équipes de gardes armés. Avant d’être licencié en août 2009, moment où il découvre que la société n’aurait jamais versé de cotisations sociales, ni en Grande-Bretagne ni en France. Roland Renaux a assigné le groupe Géos et Alstom devant le conseil des prud’hommes de Boulogne-Billancourt, lequel pour l’heure s’est déclaré incompétent territorialement. Roland Renaux a fait appel de cette décision mais une conciliation serait en cours.


Les activités de Géos en Algérie intéressent la justice à plus d’un titre. Michel Luc, l’employé de Géos accusé d’avoir participé aux enquêtes à l’origine du scandale Renault a été débarqué début février par la direction du groupe, précisant qu’il aurait agi en dehors des consignes hiérarchiques. Une accusation étonnante au regard de ses responsabilités. Jusqu’à une période récente Michel Luc coordonnait l’ensemble des opérations de Géos en Algérie, en relation avec la filiale anglaise.

Une autre procédure aux prud’hommes visait Géos au début du mois. Celle introduite par Luis Barbosa, la quarantaine, ancien du 1er Régiment Parachutiste d’Infanterie Marine (RPIMA) de Bayonne et ancien chasseur alpin. Chef d’opération au Brésil jusqu’en décembre 2010, il y aurait passé six mois sans autorisation de travailler sur place, tandis qu’il coordonnait plusieurs opérations du groupe en Amérique latine, en relation avec la surveillance des réseaux de narcotrafiquants, et au terme d’un contrat avec la même filiale britannique.

Luis Barbosa réclamait ”le paiement de la totalité de ses indemnités de licenciement, ainsi que celui de diverses prestations sociales” selon la lettre Intelligence Online (sur abonnement). Il a assigné aux prud’hommes de Boulogne-Billancourt la filiale londonienne, mais aussi Géos SAS et Géos Brasil. Le conseil devait statuer le 6 juin dernier, mais en l’absence de Luis Barbosa une ordonnance de caducité a été prononcée. Selon ses proches, une transaction aurait eu lieu peu avant l’audience.

À terme, ces diverses affaires pourraient mettre en évidence les relais de Géos avec l’appareil sécuritaire français, et quelques-une de ses missions très particulières. Ainsi, selon des témoignages concordants recueillis auprès d’anciens contractuels de Géos, une centaine de soldats privés évoluaient en Afghanistan en 2010. Dont certains spécialisés dans des missions de renseignement.


Crédits Photo FlickR cc by Simon Goldenberg

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La Secopex contre l’Élysée, tout contre http://owni.fr/2011/05/23/la-secopex-contre-lelysee-tout-contre/ http://owni.fr/2011/05/23/la-secopex-contre-lelysee-tout-contre/#comments Mon, 23 May 2011 17:44:49 +0000 Olivier Tesquet & Pierre Alonso http://owni.fr/?p=64170 La Secopex, société militaire privée, impliquée dans un accrochage en Libye, avait été en relation avec l’Elysée dès 2008. Son fondateur, mort à Benghazi il y a deux semaines, avait été reçu par une conseillère technique de la présidence de la République, pour présenter un projet de sécurisation des ambassades. Par sa société.

Abattu à Benghazi, fief des rebelles libyens, dans la nuit du 11 au 12 mai, Pierre Marziali a emporté de nombreux secrets avec lui. Même les conditions de la mort du fondateur et directeur de la Secopex restent troubles. Pour l’instant, la version relayée dans les médias évoque un incident à un check-point avec des policiers qui aurait mal tourné.

La Secopex est la seule société française à revendiquer ouvertement l’appellation de société militaire privée (SMP). Les autres? Elles préfèrent se considérer comme des “sociétés privées de sécurité ou de sûreté”, une appellation également préconisée par le Secrétariat général de la Défense et de la sécurite nationale (SGDSN). Sur le modèle des SMP anglo-saxonnes, la Secopex a proposé ses services à l’État français, et a été reçue à l’Élysée, comme le montrent des documents obtenus par OWNI.

Dans un mail envoyé le 21 janvier 2008, Pierre Marziali évoque “l’externalisation de la sécurité d’une ambassade [...] comme évoqué lors de notre réunion du 7 janvier”. Ce message est adressé à Cécile Fontaine, conseillère technique du président de la République, chargée de la Défense, des finances publiques et de la réforme de l’État, le courrier est accompagné d’un court document récapitulatif.

Au palais de l’Élysée nous avons contacté Cécile Fontaine, qui n’a pas souhaité s’exprimer à ce sujet:

Aucun commentaire à faire là-dessus.

“Elaboré par un groupe de travail multidisciplinaire composé d’anciens hauts fonctionnaires de la Défense et de l’Intérieur”, le projet de Marziali prévoit la protection des ambassades et des consulats, ainsi que des établissements culturels, scientifiques et d’enseignement français à l’étranger. L’objectif? “Assurer une aussi bonne sécurité à moindre coût”, un argument d’économie auquel est sensible le gouvernement. C’est la moëlle de sa révision générale des politiques publiques (RGPP), qui vise à resserrer les cordons de la bourse.

Sur ce postulat, la Secopex proposait de réaliser une étude et de la mettre en oeuvre à titre d’expérimentation “sur une représentation [diplomatique]“ avant d’être “étendue à d’autres implantations diplomatiques”. L’opération devait être testée dans deux pays, “dont un de l’Union européenne”.

L’entretien à l’Elysée avait été arrangé par Charles Cova, député RPR/UMP de Seine-et-Marne entre 1993 et 2007, mis en copie dans le mail. S’il confirme son intervention, l’ancien vice-président de la commission de la Défense à l’Assemblée nationale affirme avoir rompu toutes relations avec le directeur de la Secopex depuis:

Un ami général qui avait eu Marziali sous ses ordres me l’avait recommandé. J’ai adressé un courrier à Madame Fontaine pour qu’elle le reçoive.

L’échec somalien

Pour autant, cette tentative de séduction de la Secopex auprès de l’Élysée n’est pas le seul rapprochement de l’entreprise avec les autorités françaises. Quelques mois plus tard, la société de Pierre Marziali avait procédé à un intense lobbying pour obtenir le soutien de l’État dans un contrat avec le gouvernement somalien. Au mois de mai 2008, l’ancien parachutiste du 3e RPIMa s’était même affiché aux côtés du président Abdullahi Yusuf Ahmed, dans l’espoir d’obtenir un juteux contrat de sécurisation des côtes. En jeu, la protection des centaines de navires qui croisent quotidiennement dans le golfe d’Aden et sont victimes d’actes de piraterie.

Mais la Secopex n’a jamais obtenu gain de cause, ne parvenant à arracher qu’une déclaration d’intention qui ne sera pas honorée. Un échec que Pierre Marziali impute aux autorités françaises, à qui il reproche un soutien défaillant. En 2009, dans un numéro de la revue militaire Marine, il règle quelques comptes:

Malgré de multiples relances du dossier, dans un contexte où la France assumait la Présidence de l’Union Européenne, nos appels ont été vains alors que nous avions identifié, à travers de nombreux documents officiels plus de 400 millions d’euros de lignes budgétaires disponibles. [...] Tout cela illustre également un manque de courage, de clairvoyance propre à certains grands commis de l’État, sclérosés dans leur fauteuil et ne voulant surtout pas bousculer l’ordre établi au risque d’être mal perçus.

Mercredi 18 mai, la commission Défense de l’Assemblée nationale devait se réunir et mener des auditions en vue de la publication d’un rapport d’information sur les sociétés militaires privées à la fin de l’année. Pierre Marziali était attendu. Il n’est jamais venu.


Crédits photo: Flickr CC The U.S. Army

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[Visualisation] War Inc. http://owni.fr/2010/11/02/visualisation-war-inc/ http://owni.fr/2010/11/02/visualisation-war-inc/#comments Tue, 02 Nov 2010 15:53:36 +0000 Admin http://owni.fr/?p=34495 Officiellement, les troupes américaines se sont retirées d’Irak le 31 août 2010, passant le relais aux acteurs civils. Faut-il pour autant s’attendre à un changement stratégique radical? Comme le montre cette infographie, les employés de sociétés militaires privées sont plus nombreux que les soldats, en Irak comme en Afghanistan. S’ils ne sont pas tous des mercenaires prenant activement part au combat, ils montrent à quel point les États-Unis ont externalisé la conduite des deux guerres dans lesquelles ils sont engagés.

Par ailleurs, comme le relève le Congressionnal Research Service, le ratio entre les soldats et les employés de sociétés militaires privées suit une logique proportionnelle, notamment en Irak. Ainsi, depuis juin 2008, les troupes américaines ont été réduites de 37% (54.400 soldats en moins), tandis que la part des contractors diminuaient de 41% (67.000 employés). Si elle permet de pondérer la croissance exponentielle des mercenaires sur les théâtre d’opération, cette corrélation montre bien l’interdépendance entre l’administration américaine et le secteur privé.

Infographie réalisée par Elsa Secco

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Vers la guerre privatisée http://owni.fr/2010/11/02/vers-la-guerre-privatisee/ http://owni.fr/2010/11/02/vers-la-guerre-privatisee/#comments Tue, 02 Nov 2010 15:33:08 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=34448 76. C’est, en milliards de dollars, le montant des contrats souscrits entre le Pentagone et les sociétés militaires privées américaines (regroupées sous le sigle SMP), entre 2003 et 2007 (PDF). S’il n’était pas mis en avant par le très sérieux Congressional Research Service, l’agence fédérale chargée de passer au crible les politiques publiques, on serait tentés d’invalider ce chiffre stratosphérique. Pour éclairer les béotiens de l’uniforme, il équivaut à un peu plus de 10% du budget de la Défense pour l’année fiscale 2011. Plus éloquent encore, cette enveloppe ne concerne que le “théâtre irakien”, soit l’Irak, Bahreïn, la Jordanie, le Koweït, le Qatar, le sultanat d’Oman, l’Arabie Saoudite, la Turquie et les Émirats arabes unis. Nulle mention ici de l’Afghanistan ou des conflits contre-insurrectionnels de type guérilla, en Afrique ou en Amérique du Sud, qu’ils impliquent milices ou cartels de la drogue.

Officiellement, l’U.S. Army s’est retirée d’Irak le 31 août 2010, suivant un calendrier établi par Barack Obama lui-même. Le soir-même, depuis le Bureau Ovale de la Maison-Blanche, le président avait exprimé la nécessité de “transmettre le témoin aux acteurs civils”. Bien entendu, il faisait allusion aux diplomates, aux conseillers, à l’USAID (l’agence pour le développement international). Mais l’expression comporte aussi sa zone grise, celle des mercenaires et autres “soldiers of fortune”.

En 2008, en pleine campagne présidentielle, Hillary Clinton sortait le mortier pour annihiler les gros bras, gilet en kevlar sur le dos et M16 en bandoulière: elle voulait faire voter “un texte bannissant Blackwater et les autres entreprises de mercenaires d’Irak et d’Afghanistan”. Deux ans et demi plus tard, la sinistre société précitée s’appelle désormais Xe, après qu’une série d’audits du Congrès a fait muer le mastodonte. A la vérité, Blackwater a plutôt été éclaté en une série d’allèles par le truchement d’une joint venture, comme en témoigne un contrat de 2,2 milliards de dollars signé par le Département d’État – dirigé par la même Hillary Clinton – le mois dernier.

“Personal Security Detachment”

Dans les Warlogs exhumés par WikiLeaks, pourtant nettoyés de toute mention nominative (on n’y trouve ni nom d’informateur, ni sigle de société), on recense plus de 3.000 allusions à des PSD, “Personal Security Detachment”. En y ajoutant l’adjectif “French”, la base de données de WikiLeaks offre 3 résultats, tandis qu’une recherche plus large sur notre pays comptabilise 326 occurrences. Il n’aura échappé à personne que la France n’est pas engagée militairement en Irak, et ce depuis la célèbre saillie diplomatique de Dominique de Villepin sur les bancs de l’ONU.

Comment dès lors expliquer la présence de compatriotes dans les faubourgs de Bagdad ou les environs de Bassorah?

Pour mieux cerner les contours de cette nouvelle géographie du combat, il faut bien noter que les agents du renseignement extérieur sont comptabilisés parmi les PSD dans les rapports de situation. Ainsi, le Français “abattu à travers la fenêtre d’un véhicule le 21 novembre 2006” n’est pas un mercenaire, mais un agent de la DGSE tué lors d’un incident à un check-point, un mois jour pour jour avant la libération des journalistes otages Christian Chesnot et Georges Malbrunot.

Une loi, des failles

S’il est extrêmement difficile de quantifier la présence française sur les théâtres d’opération, c’est peut-être parce que la législation française, qui essaie tant bien que mal d’encadrer le mercenariat, est victime de ses propres défaillances. Depuis 2003, la loi punit de cinq ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende “toute personne, spécialement recrutée pour combattre dans un conflit armé et qui n’est ni ressortissante d’un État partie au dit conflit armé”. Quant à ceux qui recruteraient, emploieraient, équiperaient ou rémunéreraient lesdites personnes, le texte prévoit une peine de sept ans d’emprisonnement et 100.000 euros d’amende.

Pour les  connaisseurs, il ne s’agirait que d’un contre-feu, d’un signal adressé aux SMP afin de mieux maîtriser leurs activités. Pour ses concepteurs, la loi ne vise qu’à créer “un risque judiciaire, afin de professionnaliser le milieu et faire le ménage”. Dans Le Monde Diplomatique de novembre 2004, un ancien collaborateur du célèbre Bob Denard stigmatisait le fait qu’”aucun mercenaire ne réunit cumulativement les six critères imposés par la loi”, parce que la plupart sont “envoyés en mission” par des États tiers, et donc intégrés de facto aux forces armées du pays concerné.

En outre, la loi française ne condamne que la stricte “participation active aux combats”, laissant la voie libre à toutes les autres composantes des sociétés militaires privées, qu’il s’agisse du renseignement, du soutien logistique (qui représente 65% de leur activité en Irak, selon le CRS), voire d’une protection rapprochée qui navigue dans des failles langagières. En Irak, Geos ou Anticip se contentent ainsi d’assurer la sécurité des investisseurs français.

Néanmoins, la donne pourrait changer avec la nomination d’un préfet chargé d’encadrer l’ensemble des activités liées à la sécurité privée. La création d’un tel poste réglementerait non seulement l’action des vigiles et autres personnels de sûreté, mais aussi celle des employés de SMP.

Au revoir SMP, bonjour SSE

Ces tentatives de régulation signifient-elles que la France tourne le dos aux initiatives américaines? Non. Il y a quelques semaines, Georges Malbrunot soulignait la montée en puissance des sociétés militaires privées françaises, tout en révélant les desiderata du Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN), extraites d’un document confidentiel:

La participation à des actions offensives ou de renseignement actif doivent être strictement prohibées [...] Organiser en le réglementant un marché aujourd’hui “sauvage” [...] Bannir le terme “militaire” (Société de Sécurité Extérieure)

Moins que l’existence de sociétés comme Gallice (dont le patron, Frédéric Gallois, est l’ancien patron du GIGN), c’est l’amalgame qui pourrait exister dans l’opinion publique entre armée et secteur privé qui inquiète les stratèges français. Dans les hautes sphères de la Défense, on se féliciterait d’ailleurs du potentiel de reconversion des Sociétés de sécurité extérieure pour les anciens militaires et autres légionnaires.

Pour autant, cet enthousiasme de façade ne saurait masquer les puissants rapports de force qui opposent partisans et détracteurs de l’option privée. Dans une lettre d’information spécialisée, Pierre-Antoine Lorenzi, P-DG d’Amarante, une “société privée de prestation de services militaires et de sécurité” (l’appellation de l’ONU), réagit aux propos de Bruno Delamotte, patron de Risk&Co, une autre entreprise du même secteur. Relayée sur le blog Secret Défense de Jean-Dominique Merchet, sa diatribe montre au grand jour la tension du débat:

Quelle mouche a donc piqué le Président de Risk & Co pour fustiger ceux qu’il qualifie de “marchands de peur face au risque terroriste”? Habitués que nous sommes à ses prises de position aussi surprenantes qu’excessives, nous aurions pu en sourire s’il n’était question sous sa plume courroucée de la vie de nos otages au Sahel et de la sécurité de nos ressortissants expatriés. En effet, n’en déplaise à notre apprenti pamphlétaire, il ne s’agit pas, face au risque terroriste et aux menaces d’AQMI, de se prémunir contre la peur mais de se protéger contre la mort!

Interrogé par Slate.fr sur la perspective d’une armée privatisée, le général Neveux, qui a coordonné l’opération Artémis en République Démocratique du Congo en 2003, se montre au mieux circonspect, au pire hostile:

La force ne peut trouver sa raison d’être que dans un objectif politique, ce n’est pas une finalité en soi, mais un instrument au service d’une société démocratique. La force armée est de nature régalienne, apanage de l’État. Personne ne remet en cause le contrôle absolu de l’État

Dans la pensée du sociologue allemand Max Weber, le “monopole de la violence” d’un État s’exerce par la légitimation de cette violence afin de renforcer l’ordre en son sein. En l’externalisant auprès d’entreprises dont on ne peut identifier l’uniforme, le gouvernement américain a peut-être abandonné le principe régalien profondément républicain prôné par le général Neveux. La France suivra-t-elle le même chemin?

Télécharger l’illustration de Une en haute définition

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Crédits photo: Flickr CC The U.S. Army, DVIDSHUB

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Les sociétés militaires privées, l’Etat sans le droit http://owni.fr/2010/11/02/les-societes-militaires-privees-letat-sans-le-droit/ http://owni.fr/2010/11/02/les-societes-militaires-privees-letat-sans-le-droit/#comments Tue, 02 Nov 2010 14:27:08 +0000 Jérôme Larché http://owni.fr/?p=34460 La diffusion récente par le site web WikiLeaks et son fondateur Julien Assange – devenu en quelques mois la bête noire des autorités américaines et australiennes – de 400.000 documents classifiés sur les pratiques de l’armée américaine et irakiennes, ainsi que sur celles des sociétés militaires et de sécurité privées en Irak soulève à nouveau de nombreux débats.

On peut s’interroger sur le paradigme de le transparence prôné par WikiLeaks, et qui paraît parfois orienté, mais toujours est-il que ces documents nous questionnent sur l’opacité des conditions de contractualisation de ces entreprises avec les Etats, ainsi que sur le déficit inacceptable de régulation et de redevabilité qui entoure leurs activités et dont elles ont jusqu’à présent largement bénéficié, aussi bien sur le plan financier que juridique.

Ces révélations interviennent au moment même où le Président Karzaï a réitéré, lors du Conseil de sécurité afghan, sa ferme intention d’interdire les activités des sociétés de sécurité privées sur l’ensemble du territoire afghan.

Le “nouvel eldorado” irakien des SMP

On compte aujourd’hui plus de 50 SMP (sociétés militaires privées, ndlr) en Irak, employant environ 30.000 personnes. Un rapport récent a montré que sur un nombre total de 113.911 contractors, 58% d’entre eux étaient affectés à des tâches de support logistique, tandis que 11% d’entre eux (soit plus de 12 000) se chargeaient de tâches de sécurité (et par là même, participaient occasionnellement aux combats).

Si le nombre total de contractors a diminué en Irak, du fait du désengagement progressif de l’armée américaine et des troupes de la coalition, la proportion affectée à des tâches de sécurité a, quant à elle, progressé de 38%. 26% seulement des contractors en Irak sont des “nationaux“, alors qu’ils représentent plus de 75% en Afghanistan. Cette “afghanisation des milices privées” a été conceptualisée sur le terrain irakien par le Général Raymond Odierno, qui affirmait que “l’emploi des irakiens, non seulement permet d’économiser de l’argent mais renforce aussi l’économie irakienne et aide à éliminer les causes de l’insurrection – la pauvreté et le manque d’opportunités économiques“.

Une intégration difficile aux stratégies militaires des Etats engagés

Comme en Irak, la stratégie contre-insurrectionnelle prônée par l’administration américaine et la coalition otanienne en Afghanistan a prôné d’emblée l’utilisation de forces militaires privées, y compris des milices tribales reconverties secondairement en SMP locales. La complexité des situations dans lesquelles ces SMP sont actuellement employées est renforcée par la mauvaise intégration de ces dernières dans les chaînes de commandement militaire, et par les frictions générées avec les soldats “réguliers“.

En Irak comme en Afghanistan, les Rambo sont légion et leurs faux pas peuvent avoir des conséquences délétères non négligeables. En Irak, l’armée américaine a ainsi dû faire face pendant le soulèvement des miliciens d’Al-Sadr à des défections brutales de contractors, qui ont préféré fuir ces situations jugées trop dangereuses. Le recrutement de ces nouveaux mercenaires peut également s’avérer très hasardeux. Ainsi, la société Blackwater (qui s’appelle Xe aujourd’hui) a pu employer des militaires chiliens, anciens membres des commandos formés sous la dictature d’Augusto Pinochet.

Des pratiques opaques de contractualisation

La privation et l’externalisation s’inscrivent aussi dans une démarche de réduction et de rationalisation des coûts. Un rapport du Government Accountability Office (la Cour des Comptes américaine) a montré, qu’entre 2007 et 2008, plus de 5 milliards de dollars ont été versés pour les contractors (et USAID, qui lui-même contracte pour plus de la moitié de ses financements) en Afghanistan quand, pour la même période, 25 milliards de dollars l’ont été pour l’Irak.

Cependant, les conditions d’attribution de ces marchés publics ont parfois été très opaques, mettant en évidence une possible collusion entre membres de l’administration américaine de G.W. Bush et le complexe militaro-industriel. L’exemple le plus visible a été celui du vice-président américain, Dick Cheney, ancien directeur de la société Halliburton, dont la société Kellogg Brown and Root (KBR) est une des filiales, et à qui a été confiée la gestion de toutes les infrastructures américaines en Irak, pour des contrats de plusieurs milliards de dollars.

D’ailleurs, le gouvernement Obama vient d’engager des poursuites judiciaires contre le groupe KBR pour ses coûts en Irak, mais aussi pour avoir illégalement engagé et armé des sous-contractants.

En prenant l’Irak pour exemple, il est aisé de constater que la plupart des contrats ont été rédigés sous le sceau du secret, la plupart du temps sans appels d’offres, et ce basé sur les procédures d’exceptions de la loi fédérale de régulation des acquisitions…

Se pose également le problème des conflits d’intérêts entre les différentes parties contractuelles. Un rapport récent du Center for Public Integrity a en effet montré que 60% des SMP ayant bénéficié de contrats de la part du gouvernement américain avaient des employés ou des membres de leur conseil d’administration qui soit avaient servi, soit avaient des liens forts avec les organes exécutifs des administrations républicaine ou démocrate, avec des membres du Congrès des deux partis, ou avec des militaires de haut niveau.

Des dérives opérationnelles préoccupantes

Au delà des aspects financiers, les exemples d’abus et de violations des droits humains commis par les SMP sont nombreux et documentés. En Irak, certains d’entre eux sont devenus symboliques des dérives de violences et d’atteintes à la sécurité humaine liées à l’utilisation des SMP, comme de l’impunité qui en découle.

La fusillade de la place Nisour, le 16 septembre 2007, a fait 16 morts, des civils irakiens tués par des contractors de la société Blackwater, à l’époque. Autre incident relaté, le comportement des membres de la société ArmorGroup, chargée de la surveillance et de la protection de l’Ambassade des Etats-Unis à Kaboul. En juin 2009, une association de vigilance sur les projets gouvernementaux révéla, en effet, de graves et systématiques dysfonctionnements sur le plan contractuel (gardes ivres, nombre insuffisant de gardes, niveau d’anglais insuffisant) mais aussi sur le plan du respect humain (harcèlement sexuel, stigmatisation des gardes afghans, privations de sommeil,…), entraînant des problèmes de sécurité.

Une enquête du sous-Comité du Sénat américain pour la surveillance des contrats menée a pourtant récemment démontré que le Département de la Défense avait renouvelé sa confiance à ArmorGroup jusqu’en juillet 2010, avec une possibilité d’extension du contrat jusqu’en 2012.

Une absence de régulation et de redevabilité

Les dérives des pratiques des SMP, notamment sur les terrains de conflits, paraissent liées à l’absence de régulation effective de leurs activités. Les contractors des SMP, et notamment ceux présents en Irak ou en Afghanistan opèrent théoriquement sous trois niveaux d’autorité légale: 1) celui du droit international humanitaire et des mandats du Conseil de Sécurité des Nations Unies , 2) celui de la loi américaine ou de leur pays d’origine (en fonction des législations existantes), 3) celui des lois domestiques des pays hôtes.

Ce cadre juridique est pourtant insuffisant car les contractors d’Irak et d’Afghanistan ne rentrent pas dans la définition étroite de “mercenaires“, définie aussi bien par le protocole 1 additionnel de 1977 aux Conventions de Genève, que par la Convention du 4 décembre 1989 élaborée sous l’égide des Nations Unies. Le CICR a récemment rédigé un document visant à mieux définir le concept de “participation directe aux hostilités“, élément d’importance pour distinguer notamment les civils combattants et non combattants.

En lien avec des partenaires institutionnels, la Suisse s’est lancée ces dernières années dans une large réflexion sur le sujet des SMP, afin de trouver des pistes d’actions pour mieux encadrer l’activité de ces sociétés militaires privées.

On peut distinguer deux actions en particulier, celle de l’initiative conjointe avec le CICR qui a abouti à la présentation devant l’Assemblée Générale des Nations-Unies le 6 octobre 2008, du Document de Montreux. La deuxième initiative importante a permis la promotion d’un Code de Conduite Global à l’attention des SMP, finalisé en janvier 2010, et rédigé en collaboration avec le DCAF et l’Académie du Droit International Humanitaire et des Droits de l’Homme de Genève.

Vers une augmentation des SMP?

D’autres mécanismes, comme une adaptation de la contractualisation, pourraient éventuellement améliorer la redevabilité et le contrôle externe des SMP. La multiplication de crises et de terrains de conflits, le contexte actuel de crise économique et la tendance à la réduction des budgets militaires (notamment en Europe) devraient entraîner une très probable sollicitation accrue aux SMP, comme en Irak, où 7.000 contractors armés vont travailler pour l’administration américaine après le départ des dernières troupes de combat.

En Irak comme en Afghanistan, l’utilisation massive des actions civilo-militaires dans le cadre de stratégies contre-insurrectionnelles, la doctrine des approches intégrées, comme les dommages collatéraux induits par les troupes de l’OTAN et les dérives de certaines SMP sur les populations locales, ont pu participer à l’accroissement d’une perception négative et durable des forces armées de la coalition, mais aussi des occidentaux travaillant dans le secteur de l’aide humanitaire et du développement.

En Irak comme en Afghanistan, les pertes non comptabilisées des contractors permettent surtout de masquer le coût humain réel du conflit, car elles restent largement invisibles pour les citoyens. Les documents de WikiLeaks viennent renforcer cette nécessité de régulation et de contrôle des SMP, même si, au final, l’objectif final de Julien Assange paraît d’une transparence toute relative.

Cet article a initialement été publié sur Youphil

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Crédits photo: Flickr CC The U.S. Army

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