Frédéric Lefebvre fait commerce de la vie privée

Le 10 janvier 2011

La protection de la vie privée des internautes est "non-négociable", dixit Frédéric Lefebvre, ex-ennemi public n°1 de l'internet, qui... est précisément en train de la négocier avec le lobby des marchands de données personnelles.

Secrétaire d’État à la Consommation, Frédéric Lefebvre vient de déclarer que “la protection des données individuelles est l’un des enjeux majeurs de la régulation d’Internet” :

C’est une question essentielle et non-négociable de liberté individuelle. Je milite depuis longtemps en faveur de la protection des individus sur Internet.

Des propos qui ne cadrent pas vraiment avec l’image d’ennemi public n°1 de l’Internet qu’il avait acquise l’an passé après avoir notamment assimilé, à l’Assemblée nationale, l’Internet à un nid de “psychopathes, violeurs, racistes et voleurs“, appelant à la création d’un “G20 du Net qui décide de réguler ce mode de communication moderne envahi par toutes les mafias du monde.”

Lors de son discours à l’Assemblée, il avait proposé de labelliser les sites web, et de faire réguler le Net par le CSA, tout en reconnaissant que sa proposition risquait d’être interprétée comme un “retour de Big Brother“, liberticide et inapplicable. À l’époque, il défendait le mécanisme de l’Hadopi, et donc pour le filtrage, la censure et la surveillance des internautes (voir Rions un peu avec l’Hadopi).

Le retour du Minitel 2.0

Devenu secrétaire d’État à la Consommation, Frédéric Lefebvre veut toujours réguler l’Internet. Mais pas forcément pour les mêmes raisons. Lors de son discours, à l’occasion de la signature d’un accord qui permettra aux cyber-enquêteurs de la DGCCRF de dénoncer à la CNIL le non-respect de la loi informatique et libertés par les sites de commerce électronique, Frédéric Lefebvre vient donc de déclarer :

La protection des données individuelles est une des préoccupations principales du consommateur en ligne et l’un des enjeux majeurs de la régulation d’Internet.

Aujourd’hui, l’efficacité de la protection des données et de la vie privée doit être absolument garantie. C’est une question essentielle et non-négociable de liberté individuelle.

Je milite depuis longtemps en faveur de la protection des individus sur Internet. Vous le savez.

Sauf que dans les faits, il ne s’agit pas tant de respect les libertés des citoyens que de lutter contre “la défiance que suscite le e-commerce chez certains consommateurs“, afin de favoriser le développement du commerce électronique. En introduction de son discours , il se félicitait ainsi de la croissance annuelle de 25% de la vente à distance par Internet; et de son chiffre d’affaires de 31 milliards d’euros pour 2010 :

Pour bénéficier de ces avancées, le consommateur doit communiquer de plus en plus d’informations personnelles. Mais que deviennent-elles ensuite ?

Cette inquiétude, elle se diffuse. Elle grandit. Elle va de pair avec le sentiment, en partie justifié, que le développement des nouvelles technologies intenterait à la vie privée.

Ce pour quoi Frédéric Lefevbre propose de “rendre le Net plus responsable” :

Il est temps que les responsables internationaux construisent ensemble une régulation globale d’Internet. De la même façon que la régulation financière doit être conçue et mise en œuvre à l’échelle mondiale, la protection de l’individu sur Internet doit être conçue et mise en œuvre par la communauté internationale.

On ne peut que se réjouir que la France soit en pointe dans la mise en place d’une régulation. Je me félicite que ce sujet soit à l’ordre du jour de la présidence française du G8. Cela pourrait être l’occasion d’aborder certains thèmes, notamment la lutte contre la cybercriminalité.

On ne peut que se féliciter de voir que le secrétaire d’État à la Consommation veuille ainsi réglementer l’e-commerce, afin de lutter contre les “pratiques trompeuses pour le consommateurs et déloyales pour les autres acteurs du commerce“, et qu’il puisse ainsi déclarer que “nous refusons que les consommateurs soient profilés à leur insu“.

On ne peut, par contre, que déplorer qu’il ne perçoive le commerce électronique que du côté du commerçant.

Ainsi, il n’est pas anodin de constater que le ministre a demandé mardi dernier à la Fevad, le principal lobby du commerce électronique de “lui faire part d’un état des difficultés qu’elle pourrait constater et qui nécessiterait d’accroître les contrôles ou de modifier la régulation du secteur de la vente en ligne“.

Comme le remarque Guillaume Champeau sur Numérama :

Au moins, on ne pourra pas accuser Frédéric Lefebvre de masquer l’influence des lobbys (qu’il connaît très bien) sur son ministère…

En attendant que Frédéric Lefebvre demande également à Google ou Facebook de lui faire part de ses propositions pour améliorer la protection de la vie privée sur le Net, on constatera qu’il n’en a donc pas profité pour solliciter les internautes, pas plus que les associations de défense des consommateurs… Un oubli qui a tout du lapsus.

Dans les années 90, France Télécom a raté le virage de l’Internet, parce qu’il voulait défendre le modèle économique du Minitel. Avec Frédéric Lefebvre, c’est le retour, ou la consécration, du “Minitel 2.0” (voir, à ce titre, la passionnante conférence de Benjamin Bayard), de cet “Internet civilisé“, pour reprendre l’expression si chère à Nicolas Sarkozy, qui voudrait ne faire du cyberespace qu’un vaste supermarché.

Pour reprendre les mots-clefs du discours de Frédéric Lefebvre, la protection des données, la vie privée, la protection des individus sur Internet et la liberté individuelle ne sont pas solubles dans le commerce électronique. Sauf à considérer que, l’Internet étant un nid de “psychopathes, violeurs, racistes et voleurs“, seuls les marchands de données sont des interlocuteurs respectables.

Un peu comme si le secrétaire d’État à l’Écologie et au développement durable proposait aux chasseurs de lui “faire part d’un état des difficultés qu’ils pourraient constater et qui nécessiterait d’accroître les contrôles ou de modifier la régulation” de la chasse à courre…

Mieux vaut en rire, etc, et ce que l’on vous propose pour finir avec ces deux best of des dérapages et dénégations de ce grand amoureux du Net qu’est l’ancien porte-parole (ou plutôt troll) de l’UMP, honoré d’un “bâton merdeux” aux Big Brother Awards 2009.

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