IPv6: “préserver un Internet ouvert”
Fêté aujourd'hui, l'IPv6 n'est pas qu'une contrainte d'ingénieur informaticien. L'adoption de ce nouveau protocole d'adresses IP permet aussi de préserver le caractère ouvert d'Internet. A l'occasion de cette journée mondiale, Stéphane Bortzmeyer explique à Madame Michu le concept et l'importance d'IPv6.
Oyez ! Oyez, peuple de l’Internet ! Aujourd’hui, c’est la journée mondiale de l’IPv6 !
Derrière cet acronyme barbare se cache un changement important pour Internet : la création de nouvelles adresses IP. Tout objet connecté est associé à l’une de ces adresses, qui consiste aujourd’hui en une suite de chiffres de type 193.43.55.67. Cette association est indispensable, car elle permet aux objets de communiquer entre eux sur le réseau.
Mais avec l’expansion des usages et la multiplication des terminaux, notamment mobiles, le nombre d’objets connectés est près de dépasser le nombre d’adresses disponibles. Internet est au bord de la pénurie. “IPv6″ y remédie en proposant une nouvelle plage d’adresses, dont le format, beaucoup plus long (par exemple, 2001:0db8:0000:85a3:0000:0000:ac1f:8001), permet de multiplier les combinaisons disponibles. Et donc d’éviter la disette.
Soutenue par certains géants du web, Google, Facebook ou l’opérateur AT&T, l’initiative du jour est surtout une occasion d’officialiser le basculement en IPv6. Et d’inciter les sites à s’y mettre, en s’appuyant sur un coup médiatique appuyé.
Mais concrètement, en quoi consiste l’IPv6 ? Si en surface, vous ne devrez vous rendre compte de rien – enfin si tout se passe bien-, ce basculement a en réalité une incidence fondamentale sur le caractère ouvert du Net. Explications de Stéphane Bortzmeyer, architecte réseau à l’Afnic (association en charge d’attribuer les .fr), à destinations des geeks, et surtout des moins geeks /-)
On a conçu IPv4 [l'ensemble des adresses IP que nous utilisons depuis les années 1980, NDLR] en imaginant qu’il n’y aurait qu’un ordinateur par service d’entreprises ou par département d’universités. On était loin de penser à l’ordinateur personnel !
Les 4 milliards d’adresses disponibles sur IPv4 semblaient donc alors être un nombre suffisant ! Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
On risque de perdre des choses importantes pour Internet. Aujourd’hui, avec un nombre d’adresses IP suffisant, toutes les machines peuvent parler ensemble sur Internet, sans avoir à demander d’autorisation. S’il est limité, il faudra un intermédiaire entre les machines, qui pourra décider ou non de les connecter entre elles, regarder leur discussion, etc.
C’est d’ailleurs pour ça que l’IPv6 a avancé si lentement : un certain nombre d’organisations voulaient devenir cet intermédiaire. Par exemple, celle qui affirme dans ses publicités : “il y a Internet, et Internet selon nous”. Ce genre d’organisation, qui a en tête que le client ne regarde pas Internet, mais ce que les opérateurs proposent. Beaucoup ne sont pas favorables à l’IPv6.
Un article récent paru sur CNET.com montre d’ailleurs les inquiétudes du FBI à ce sujet : avec l’IPv6 selon eux, les délinquants pourront faire plus de choses. Si les gens gardent un silence pudique sur les conséquences de l’IPv6, c’est aussi pour cette raison. Le basculement en IPv6 est important pour préserver un Internet ouvert.
Pas mettre un terme, mais plutôt tenter de limiter l’Internet ouvert. C’est moins un problème technique qu’une question politique et stratégique.
Les premiers accord autour de l’IPv6 remontent à 1995. C’était au sein de l’IETF (Internet Engineering Task Force), en gros les gens qui font les normes sur Internet.
A côté de ces gens, il y a ceux qui font, qui exécutent sur Internet. Et eux n’ont pas de chef. Ça peut être vu comme une faiblesse, mais c’est aussi une force pour le réseau. Du coup, il a fallu convaincre individuellement des tas de gens.
Mais l’effet de réseau joue dans les deux sens : s’il ralentit le changement au départ, personne n’ayant intérêt à utiliser quelque chose que personne n’utilise, il l’accélère progressivement, avec l’accroissement du nombre des utilisateurs.
C’est assez technique, donc du ressort des informaticiens.
Pour l’utilisateur normal, ça s’apparenterait à la migration d’une voiture de l’essence au diesel : un changement qu’il ne pourrait faire tout seul.
Je pense que le rôle des utilisateurs est de demander à leur fournisseur de basculer en IPv6.
Si le basculement ne rencontre pas de problèmes, les internautes ne verront pas le changement. Par contre, il y aura des conséquences à long terme sur l’évolution d’Internet. Mais a priori, pas sur le vécu des internautes.
Et Internet ne sera jamais complètement cassé ! Le quotidien d’Internet, c’est de rencontrer tous les jours des problèmes et de les résoudre.
Pas de risque global, non. Les sites qui le souhaitent vont faire une manipulation, qui, si elle tourne mal, peut engendrer un souci isolé, dans un coin d’Internet.
Mais beaucoup d’institutions et d’organisations ont déjà basculé depuis longtemps en IPv6. Cette journée mondiale de l’IPv6 n’est pas une obligation : c’est symbolique, rigolo, ça permet de relayer l’information dans la presse… Mais ça ne signifie pas le basculement d’un coup de tout l’Internet ! C’est impossible.
Il n’y a pas de date limite. Internet n’est pas centralisé, il est impossible de fixer ce genre d’ultimatum.
La seule fois où Internet a déjà connu un jour J, c’était en 1983, avec la mise en place d’IPv4. Mais Internet n’avait rien à voir avec celui d’aujourd’hui.
Aujourd’hui, les gens qui veulent faire de l’IPv6 sont ceux qui doivent faire un peu plus d’efforts : IPv4 est encore la règle. Mais dans quelque temps, quand les utilisateurs seront majoritairement en IPv6, les choses s’inverseront, et ce sont les gens qui voudront rester en IPv4 qui devront s’adapter.
Pas vraiment. Les deux sont incompatibles. Aujourd’hui sur un site, il faut prévoir IPv4 et IPv6. Mais ce n’est pas un énorme travail pour un technicien ! Il faut juste y penser et sérieusement.
Aujourd’hui, la part d’utilisateurs sous IPv6 est très faible. Mais prenons un exemple récent : le site qui accueille le scrutin des français de l’étranger, diplomatie.gouv.fr, n’a pas pensé à l’IPv6. Donc les gens qui sont en IPv6 ne peuvent pas se connecter dessus.
Alors d’accord, aujourd’hui il n’est pas encore impératif d’être accessible en IPv6. Mais ça deviendra de plus en plus un problème. Surtout que la migration prend du temps. Donc ce n’est pas grave si des sites ne sont pas aujourd’hui accessibles en IPv6. C’est plus grave de ne pas avoir enclenché le processus.
Illustration CC Internet Society
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